Mercredi 6 juin 2012 par Ralph Gambihler

Mélodie pour un tueur

Bluffé il y a quelques années par "De battre mon coeur s'est arrêté", on l'est un  peu moins désormais à la vision du film dont Jacques Audiard s'était alors inspiré. Dégât collatéral lié à une récente fâcherie ? Non, simple constat, plutôt, d'une authenticité et d'une justesse d'émotion propre un certain cinéma américain des années 70 dont la reprise en salles de "Mélodie pour un tueur" ("Fingers" en V.O.) confirme le caractère indépassable.

C'est en 1978 que James Toback, qui aura été apparemment l'homme d'un seul film, signe ce thriller syncopé dont Audiard, après coup, a singulièrement élimé les contours les plus âpres. Harvey Keitel, dantesque à souhait, y campe un pianiste frustré et névrosé, petite frappe pour le compte de son truand de père, incapable de s'assumer sexuellement, et dont le profil épouse à la perfection les anti-héros scorsesiens à la "Taxi Driver". New-York y est ausculté dans ses interstices les plus poisseux. La ville est froide, livide, dépeuplée, meurtrière. Rien à voir avec le Paris grouillant dans lequel va se déployer "De battre mon coeur s'est arrêté" avec dans la foulée un Romain Duris transformé en agent immobilier sur fond d'expulsions  de squatters et de sans-papiers.

Pas si mauvais bougre, l'acteur français, devant la caméra de Jacques Audiard... Il a presque, parfois, quelque chose de romantique. Harvey Keitel, lui, est tordu de fond en comble. Même lorsqu'il joue du piano, il fait peur, et quand il déambule dans la rue ou dans les cafés en poussant à fond le volume de son radio-cassette, ce n'est jamais très bon signe. Ses accès de violence, toujours soudains, crèvent évidemment l'écran, tout comme le malaise qu'il génère dans ses rapports avec la prostituée de son coeur, la mystérieuse Carol mythifiée par Tisa Farrow, la soeur de Mia Farrow.

Le casting de "Mélodie pour un tueur" offre encore bien d'autres morceaux de bravoure: la voix enrouée, le visage rougeaud et la vulgarité crasse de Michael V.Gazzo dans le rôle du père, l'apparition plus qu'ambigüe en souteneur black de Jim Brown, ex-star du football américain... Remarqué à l'époque par François Truffaut -mais aussi par Cary Grant (!!!) qui encouragea la sortie du film- "Mélodie pour un tueur" n'a rien perdu de son intensité, au coeur des vibrations ultra-contemporaines dont se prévalait le "Nouvel Hollywood". Libre à chacun, ensuite, de préférer "La nouvelle qualité française"...

Mélodie pour un tueur", de James Toback (Reprise en salles ce mercredi 6 juin par Solaris Distribution). Coup de projecteur, ce jeudi, sur TsfJazz (7h30, 11h30, 16h30) avec Franck Garbaz, journaliste à "Positif"