Mardi 3 juin 2014 par Ralph Gambihler

Mélanie de Biasio à Jazz sous les Pommiers

Un oiseau de nuit a survolé la Normandie au dernier jour du mois de mai. Il s'est posé dans une salle de cinéma baptisée Le Long CourT. C'est un peu paradoxal vu que lorsque l'oiseau de nuit a chanté, le temps s'est arrêté au Long CourT. Suspendu à sa voix brûlante, à ses musiciens d'une finesse inouïe et à sa gestuelle au graphisme rare, nous avons donc craqué pour Mélanie de Biasio.

Il n'en allait pas de même, avouons-le, lors de la sortie automnale de No Deal, le 2e album de cette native de Charleroi. On s'était agacé, à l'époque, de ce minimalisme transi lourdement référencé (Nina Simone et Portishead, rien que ça...) et buzzé sur le mode "Voilà le jazz de demain !" par des journaleux qui ne vont jamais en club.

Mais du disque à la scène, il y a parfois tout un monde. Celui de Mélanie de Biasio n'a rien à voir avec l'exubérance et la sensualité aux formes généreuses d'une Dianne Reeves retournant toute une salle, la veille, dans la grande tradition des Jazz Ladies. Mais ne  parlez surtout pas de Jazz Ladies à l'oiseau de nuit, il risque de s'envoler... Mélanie de Biasio blues autrement, chante autrement, s'offre autrement. Une lenteur et parfois même une fixité du corps déroutent au premier abord. Elle n'est guère plus loquace entre deux morceaux. Seulement il y a les mains. Les doigts, également... L'oiseau de nuit se fait automate, claque des phalanges, se la joue ombres chinoises. Hypnose. Surtout dans l'ambiance tamisée des éclairages, tour à tour bleutés, rougeoyants et nocturnes.

Le concert-concept lui va à ravir, à l'ancienne danseuse qui soudain fait jaillir une flûte traversière d'on ne sait quelle pénombre. Tout est ciselé dans la grâce et les chansons qui autrefois nous surfaient dessus sont enfin habitées aux bonnes vibrations. C'est notre avis, en tout cas. Dans le public, quelques seniors paraissent se réveiller de leur léthargie. L'oiseau de nuit les a un peu plombés, semble-t-il... Dans la presse locale, le lendemain, on peut lire que Mélanie de Biasio a bien du talent, mais qu'elle devrait moins "prendre des poses". Deux rappels à la fin du concert. Elle revient sur scène et se contente de murmurer, dans un demi-sourire qui va longtemps nous hanter, un suprême "Ok"... Des poses comme ça, j'en redemande.

Mélanie de Biasio à Jazz sous les Pommiers, Coutances (Manche), vendredi 31 mai.