Maladie d'amour
Si encore Yohann était un vieux libidineux, comme dans les romans de Philip Roth. Mais non... C'est en pleine force de l'âge, à 30 ans et des poussières, que cet aventurier du sexe se définissant plus comme "viveur" que vivant devient impuissant. La "pilule" est d'autant plus amère que le Viagra n'est pas encore de saison dans cette Maladie d'amour que Frédéric Joignot prend soin de dater de l'an 1997.
Pilier des libertinages façon Jean-François Bizot (il a été rédac' chef d'Actuel...), l'auteur connait apparemment bien son sujet. D'où ces pages à la fois tordantes et fascinantes qui voient Yohann descendre "20 000 lieues dedans le phallus"... Quid de l'érection ? Comment circule-t-elle, la pression sanguine ? Qui commande quoi à qui, entre cerveau, nerfs et roubignoles ? Dans son journal intime auquel fait écho celui de son frère-ennemi, Virgile (trop normé pour être vraiment honnête, celui là...), Yohann semble observer pour la première fois ce membre indocile qu'il surnomme "Iago le traître", cette espèce d'andouille qui "pratique la désobéissance civile", ce pénis "indécidable" devant qui "l'ego peut aller se rhabiller" comme si, avant toute chose, l'homme était d'abord un "roseau bandant".
Crise, dépression, hypocondrie... Les urologues (rien que ce mot, "urologue"...) attisent les cauchemars de Yohann tandis que sa Jeanne adorée, rude et gracile à la fois, s'éloigne peu à peu de cette morale de l'infidélité que le couple avait pourtant charpentée d'un profond sentiment amoureux. "Prends ta faiblesse comme une initiation. Pas comme une déperdition", finit-elle par lui mailer. L'odyssée sexuelle n'est plus alors seulement tragi-burlesque. Au miroir d'une impuissance, Frédéric Joignot interroge une époque où l'on s'excite pour du vent, où l'on ne rencontre jamais l'autre, où le désir, cet "exalté pressé", cet "émulsionné-minute", ce "client rêvé des stratégies de marketing", prime sur le plaisir, fabriquant des "frustrés à perpétuité"... L'apparition d'Angel, le travesti haïtien, va dépouiller Yohann de ses dernières certitudes... "Suis-je toujours viril, devenu impuissant? Est-ce que je manque de bravoure, d'autorité, de résolution?"
D'un marivaudage fin de siècle Frédéric Joignot a exhumé les éclats les plus sombres. Son écriture dégage, dans le même temps, une truculence, une faconde et une élégance qui ne font jamais barrage à l'émotion. Surtout quand Yohann s'avoue convaincu que les hommes avec un grand H n'existent pas. "Seules existent des créatures humaines cousues dans des grands sacs de peau, greffées d'organes électriques, à la sexualité baroque, au coeur irrationnel et à l'esprit vagabond"...
"Maladie d'amour", de Frédéric Joignot, Ravages/Nova Editions, à paraître le 28 août.