Dimanche 1 novembre 2009 par Ralph Gambihler

Mais le fleuve tuera l'homme blanc

On ne le connaissait pas sous cet angle, Patrick Besson. Il fut, dans une vie antérieure, le chroniqueur-vedette de "L'Huma" d'où il s'exfiltra sans vergogne pour aller butiner au "Figaro Magazine", puis dans "Le Point", "Voici" ou encore "Marianne"...  Moins fantasque qu'un Jean Edern-Hallier, il en perpétuait néanmoins la désinvolture et les provocations dans les dîners en ville, jusqu'à certaines inflammations pro-serbes qui le rendaient encore plus difficile à suivre. Ses livres ? Evidemment, on ne les lisait pas. Quand on met tant de talent à se caricaturer dans l'écume de la vie parisienne, eh bien on en reste à l'écume, justement...

Et voilà que surgit, "Mais le fleuve tuera l'homme blanc", dont les quelques 500 pages donnent à voir une puissance romanesque étrangement désaccordée, à priori, avec le pedigree de l'auteur. Patrick Besson n'a rien perdu, pourtant, en matière de désenchantement, de cynisme et d'ironie cinglante. Il a une manière d'aimer l'Afrique sans faire de sentiments. Dans le Congo poisseux et ensorcelant de Sassou-Nguesso où il plonge le lecteur, depuis la période où le pays se voulait encore le phare soviétique du continent noir jusqu'au régime pro-occidental d'aujourd'hui, il ne dépeint pas vraiment des enfants de choeur, quelque soit la couleur de la peau, et en même temps, quelle frénésie dans cette galerie de personnages !

Russe décatie, japonaise nympho, cadre d'une compagnie pétrolière,  jeune peintre raté,  conseiller de chef d' Etat... Dans cette jungle équatoriale, la vedette évidemment, c'est Blandine Kergalec, cette ex-espionne française transformée en véritable tatie flingueuse sur fond de règlements de comptes post-génocide rwandais. C'est d'ailleurs l'embardée vers les horreurs de Kigali, en plein milieu du récit, qui donne au roman toute son ampleur.

Patrick Besson s'est beaucoup documenté sur la généalogie du génocide, mais il ne cède en rien à la tentation révisionniste lorsqu'il décrit  "l''inoubliable nuit du 6 au 7 à Kigali. La peur devenue une chose. Une personne. Plantée dans toutes les pièces de la maison, à tous les coins de toutes les rues. La peur tutsi des Hutus. La peur hutu des Tutsis: deux peurs qui avaient la même figure blafarde, les mêmes yeux exorbités, la même silhouette, les mêmes sons moites. Le début d'une guerre ressemble à une fête, avec ses bruits de pétards. Ces hurlements qui ont l'air d'être des rires "... Un peu plus loin, il écrit ceci: "Lors d'un génocide, on ne sort pas dans une rue, on y entre. C'est une chambre froide, même par grandes chaleurs. Au lieu d'être suspendue à des crocs de boucher, la viande gît à terre "... Ce n'est pas là le seul temps fort de ce thriller géopolitique qui tangue forcément dans les premières pages, un peu comme dans le camion du film "Le salaire de la peur", avant de nous embarquer dans un sacré voyage.

"Mais le fleuve tuera l'homme blanc", de Patrick Besson (Editions Fayard). Coup de projecteur avec l'auteur ce mardi 3 novembre, sur TSF JAZZ, à 8h30, 11h30 et 16h30