L'Homme à tête de chou
L'infidélité peut devenir, parfois, le plus beau des hommages. Jean-Claude Gallotta en fournit une preuve rayonnante au théâtre du Rond-Point à Paris avec sa version chorégraphiée de "L'Homme à tête de chou", l'album-culte de Serge Gainsbourg.
Ils sont deux, en fait, à lui être infidèles, à Gainsbourg : Gallotta et... Alain Bashung ! Bashung qui, juste avant sa disparition, eut le temps de se glisser dans le phrasé gainsbourien pour évoquer à son tour les amours psychés et rongés entre un narrateur "moitié légume, moitié mec" et Marilou, perverse shampouineuse finissant fracassée sous les coups d'un extincteur d'incendie... Gainsbourg la distillait au goutte-à-goutte, la malédiction de Marilou. C'était lancinant. On suffoquait sous les tropiques. L' amour givré se consumait direct, le feu au cul, la folie au bout, avec au passage ce "Flash Forward" d'anthologie à jamais hanté par l'image de la shampouineuse "entre deux macaques du genre festival à Woodstock"...
Et puis soudain, l'immémoriel murmure : " Qu'importe injures un jour se dissiperont comme volute gitane"... C'était en 76... Gainsbourg inventait le "modern love"... Alain Bashung est plus détaché... Ses mots, surtout... Les syllabes suintaient chez Gainsbourg, elles valsent chez Bashung, comme si, en 2ème jet, la priorité était de bien les donner à entendre... On se surprend même, parfois, à leur trouver un tempo swingué, aux mots d'Alain Bashung ( notamment dans les abyssales "variations sur Marilou"), et c'est comme un miroir enrobant offert aux angles cisaillés de la prose à tête de chou... Il est vrai que les réarrangements et les bonus musicaux (choeurs féminins et percussions vaudous) sont particulièrement bien soignés.
Quant à la partie dansée, elle est matière à d'autres prolongements réellement stimulants... Jean-Claude Gallotta , on le sait, n'a rien d'un érotomane... Il a toujours été, en revanche, une sorte de lutin mélancolique dans le paysage chorégraphique hexagonal, et c'est en toute logique qu'il "lutine" l'oeuvre originelle avec une belle énergie jusqu'à en poétiser les aspects les plus scabreux. On pense notamment à ces trios presque ingénus où la danseuse, la main dans l'entrejambe de ses deux partenaires, virevolte à travers un plateau dont les couleurs ont été complètement délavées, comme pour mieux suggérer ce "lunatic asylum" à partir duquel s'opère le retour du narrateur sur son passé.La sensualité sombre et désarticulée qui s'en dégage est le viatique idéal pour transmettre aux nouvelles générations ce qu'ont été les efflorescences les plus vénéneuses de la faune gainsbourienne...
"L'Homme à tête de chou", de Jean-Claude Gallotta, au théâtre du Rond-Point à Paris jusqu'au 19 décembre.