L'histoire de la Révolution française
Il nous arrachait des larmes au moment de la mort de Louis XVI, les Girondins montant à l'échafaud se révélèrent tout aussi poignants, même réaction lacrymale quand ce fut le tour de Danton. Il fallut racheter des Kleenex, enfin, lors de l'agonie de Robespierre. Et si Jules Michelet était tout simplement l'homme qui nous divise le moins ?
Sa monumentale Histoire de la Révolution Française embellit à nouveau La Pléiade, 67 ans après une précédente édition. Sept tomes au final, le premier en 1847 alors que l'historien est au faîte de sa renommée, le dernier en 1853, Michelet ayant été entre-temps ostracisé par ce putschiste de Louis-Napoléon Bonaparte. On comprend mieux, dés lors, son intime conviction d'une révolution inaccomplie. Les barricades de 48, juin raturant février, le pseudo 18-Brumaire de celui qu' Hugo surnommait "Napoléon le Petit"... Une "Révolution terminée", comme le dira plus tard François Furet avant de nuancer son propos peu de temps avant sa disparition ? Michelet n'aurait jamais accepté un tel verdict.
Dans son introduction, l'historienne Paule Petitier saisit avec brio la lente et amère maturation d'une publication étalée sur sept ans. Elle observe aussi à quel point l'œuvre de ce "prosateur de grande classe" (Sartre), si datée soit-elle, demeure un "réservoir d'intuitions où la discipline fonde ses ressourcements". Écriture vibratile, sens du détail, fantasmagorie républicaine et mystique de "l'évènement-avènement" n'occultant en rien les accrocs sanglants du processus révolutionnaire... La Révolution selon Michelet, ce n'est pas seulement Valmy et La Marseillaise, mais aussi les mesures sociales de 1793, les manoeuvres des possédants et l'entrée en scène des femmes. La fermeture des clubs féminins va d'ailleurs inspirer à Michelet des mots précurseurs: "Cette grande question sociale se trouva ainsi étranglée par hasard"...
Reste le souffle de ses portraits historiques. Au-delà des grandes journées révolutionnaires où il "rencontre le peuple sous les traits de la foule", (Michel Vovelle), chaque acteur de la Révolution exerce sur Michelet "la fascination des spectres", chacun est à la fois saisi dans sa tragique finitude et dans ce qui la dépasse, à commencer par "la taille raide" et "la pâle figure de tel avocat d'Arras" entraperçu en 1789. Avec L'Incorruptible, l'historien engage ainsi une relation d'amour-haine par nature excessive, jusqu'à admettre que ce sont les pires, et non les meilleurs, qui ont renversé Robespierre.
Manque de rigueur ? Pêché d'imagination ? Préjugés psychologiques ? À ces griefs, Paule Petitier oppose la formidable aptitude de Michelet à "faire comprendre comment se crée une conscience commune capable de dépasser les conditionnements antérieurs – c’est-à-dire le mystère d’une révolution"... Si peu impassible et quasi-acteur rétrospectif d'une odyssée que d'autres auraient traitée comme du matériel froid, l'historien ne gagne pas seulement ses galons de conteur immémorial, il rend son âme à la Révolution et entre en intelligence avec elle au plus beau sens du terme.
L'histoire de la Révolution Française, Jules Michelet, introduction Paule Petitier (deux volumes, La Pléiade/Gallimard)