Les Sorcières de Salem
Une forêt, la nuit. Des nymphes en transe, à-demi dénudées derrière un rideau translucide, s'amusent à jeter un sort à certaines personnes censées leur avoir fait des misères... C'est sur cette scène envoûtante à souhait que le patron du Théâtre de la Ville, Emmanuel Demarcy-Mota, ouvre sa relecture des Sorcières de Salem, la célèbre pièce d'Arthur Miller qui faisait autrefois le trait d'union entre l'exécution, à la fin du 17e siècle, d'une vingtaine de personnes accusées de sorcellerie au cœur de la Nouvelle Angleterre, et la traque des communistes aux Etats-Unis à l'époque du Maccarthysme, quelques deux siècles et demi plus tard.
Si datées soient-elles, ces deux références historiques n'étaient pas forcément condamnées à faire barrage à notre adhésion. La manipulation des foules, la plongée paranoïde de tel ou tel groupe humain, l'emballement du mensonge, l'infernale mécanique de l'aveu et de la dénonciation... Ce sont-là des traits auxquels nos sociétés contemporaines ne sont toujours pas étrangères. Emmanuel Demarcy-Mota peine pourtant à leur donner sens tant il a d'avantage soigné l'écrin que le contenu.
Rais de lumière blanche sur les visages, jeux de clair-obscur et fondus en noir donnent effectivement à la pièce une vraie touche cinématographique. C'est d'ailleurs vers une comédienne que le septième art a spectaculairement relancée ces derniers mois (Guy, Pupille...), Élodie Bouchez, que tous les regards sont braqués. On se damnerait pour pareille sorcière ! Ici, elle joue Abigail, l'une des nymphes forestières de la scène d'ouverture, bien décidée à se venger de John Proctor, l'homme dont elle fut à la fois la servante et la maîtresse avant que son épouse malade, ayant eu vent de cette liaison, ne la renvoie.
La machine est lancée. Pour ne pas se retrouver elles-mêmes aux prises avec des soupçons d'hérésie suite à leur escapade nocturne dans les bois, les vengeresses de la forêt, Abigaïl en tête, accusent leur entourage de sorcellerie, déclenchant d'inombrables arrestations et pendaisons. Les Proctor, bien évidemment, feront partie du lot. Ce temps des procès devrait nous bouleverser, mais l'écriture et la direction d'acteurs, trop lourdes et trop monochromes, finissent par lasser.
L'irritation naît surtout du comédien qui joue John Proctor. Son timbre larmoyant et quelque peu désuet tranche avec l'énergie rebelle d'Yves Montand lorsqu'il incarnait ce même personnage au côté de Simone Signoret sous la direction de Raymond Rouleau. Le film était loin d'être la huitième merveille du monde, mais l'épique et l'émotion étaient bien plus au rendez-vous.
Les Sorcières de Salem, Arthur Miller, mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota, Espace Pierre Cardin-Théâtre de la Ville, à Paris, jusqu'au 19 avril.