Les nouveaux chiens de garde
Cela va bientôt faire 10 ans que Pierre Bourdieu s'en est allé et ses héritiers pètent la forme. Démonstration haute en couleurs avec les "Nouveaux chiens de garde" signés Gilles Balbastre et Yannick Kergoat. Ces deux réalisateurs ont actualisé sur grand écran le pamphlet éponyme écrit il y a une quinzaine d'années par Serge Halimi, futur directeur du "Monde Diplomatique". Inspiré des "Chiens de garde" de Paul Nizan, le livre de Serge Halimi dézinguait rageusement, à l'époque, les liens entre journalistes, patrons et hommes politiques. Le discours anti-médias, depuis, s'est un peu généralisé et surtout il s'est vulgarisé. On se souvient, par exemple, du succès de l'émission "Arrêt sur Images".
Force est de reconnaître, dans le même temps, qu'ils sont super bien fichus, ces "Nouveaux chiens de garde" version documentaire dont le scénario a bénéficié, une nouvelle fois, de la patte (ou plutôt du coup de patte) de Serge Halimi. Le rythme, le montage, la musique, signée Fred Pallem... Autant de vertus qui font mouche avec, en bonus, un humour qui mord là où ça fait mal: cette émission de Michel Drucker, par exemple, avec un Jean-Pierre Elkabach accablant de flagornerie vis-à-vis de son patron, Arnaud Lagardère, présent à ses côtés.
Il y a aussi le cas Michel Field, passé en quelques années du trublion d'extrême-gauche au cireur de pompes des magasins Casino. L'économiste Alain Minc n'est pas en reste, surtout quand l'expert préféré des médias se gaufre en beauté, début 2008, en décrétant que la crise financière est désormais derrière nous... Laurent Joffrin, Isabelle Giordano, Christine Ockrent, Alain Duhamel en prennent également pour leur grade, sans parler de cet économiste de la CNAM dont on s'aperçoit qu'il a envahi nos écrans depuis une trentaine d'années avec toujours le même discours -il faut travailler plus- discours qui, en l'occurrence, lui a surtout fait gagner plus, financièrement parlant, à notre expert de la CNAM... Tout ce beau monde -la séquence revient à plusieurs reprises- se réunit les derniers mercredis de chaque mois au Siècle, un club sélect situé pas très loin de la place de la Concorde.
Ce qui revient également à plusieurs reprises dans le documentaire, c'est le plan sur les pages du pamphlet anti-bourgeois de Paul Nizan en 1932, les fameux "Chiens de garde", avec des extraits qui prennent aujourd'hui une étrange résonance. Le réquisitoire, certes, est parfois très appuyé, et nul doute que les personnalités mises en cause dans ce film pourraient très bien démontrer, avec d'autres exemples, que la servilité vis-à-vis des puissants n'est pas leur seul régime de croisière. Il n'empêche que la force narrative de ce qui est ici dénoncé prend très souvent une teinte jubilatoire, avec en filigrane un bel appel citoyen lancé à l'adresse de nos élites médiatiques pour qu'elles laissent un peu le champ libre à un journalisme réinventé.
"Les nouveaux chiens de garde", de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat (Le film est sorti en salles le 11 janvier)