Les Loyautés
Concision et éparpillement. On est en plein paradoxe dans ce nouvel opus de Delphine de Vigan. Arrimée à cette douceur du scalpel qui constitue sa marque de fabrique, la plume de la romancière s'enraye sur un format où on ne l'attendait pas. Celui d'un récit choral express -à peine 200 pages- qui réserve un traitement inégal à ses personnages avant de les soumettre au régime de l'étayage et de la dispersion.
Ce ne sont pas les premières pages qui désarçonnent. Le lecteur, au contraire, compatit avec les malheurs de Théo, un collégien qui exorcise dans l'alcool la façon dont ses parents séparés (un père en pleine déchéance, une mère au cœur dur comme la pierre...) l'ont déglingué. Deux bouées de sauvetage viennent alléger ce paysage bien glauque: Hélène, la prof qui vient en aide au gamin en souvenir de ses traumas personnels, et Mathis, le copain unique avec lequel Théo partage la "petite mort" dans l'ivresse mais qui parait mieux armé pour remonter son pote à la surface.
On est à la moitié du roman, on s'accroche, on aurait aimé un récit plus personnel, peut-être moins sombre et avec d'avantage d'ampleur, mais le propos tient la route. Jusqu'au dérapage Cécile. C'est le quatrième personnage. La mère de Mathis. Femme au foyer. Dans tous ses états quand elle découvre que son mari tient un blog-culte au sein de la fachosphère. Après l'alcoolisme des ados, la violence des réseaux sociaux. Delphine de Vigan a-t-elle vraiment choisi les bons théâtres d'opérations ?
Ce qui est censé relier tous ces personnages nous laisse encore plus perplexe. Dettes secrètes, loyautés indicibles... La prof qui vient au secours de l'élève, l'épouse entravée par son mari ou encore le fils qui se sent responsable de son père relèveraient d'une même odyssée entre rebond et renoncement. Les Loyautés, écrit Delphine de Vigan, ce serait avant tout ces "tremplins sur lesquels nos forces se déploient et les tranchées dans lesquelles nous enterrons nos rêves". Une fin abrupte, laissant irrespectueusement le lecteur dans l'incertitude, ponctue cette psychologie du comptoir
Les Loyautés, Delphine de Vigan (Editions JC Lattès)