Vendredi 24 septembre 2021 par Ralph Gambihler

Les Intranquilles

Patiente et dévouée, une femme regarde son homme tomber. Il est pourtant bouillant d'énergie, plein d'allant et de fantaisie, prêt à tout pour le bonheur des siens, sa compagne et son gamin de neuf ans. Faudrait juste qu'il se repose un peu et qu'il arrête de faire le mariole jour et nuit, littéralement parlant... ou alors qu'il accepte de prendre ses cachets. On reconnaît bien là l'univers de Joachim Lafosse, le réalisateur belge d'À perdre la raison (2012): la possibilité d'un bonheur, les fissures qui affleurent, une tension extérieure qui mine peu à peu le fragile équilibre, et puis ça déborde...

Ce dérèglement à pas de loup lorsqu'il s'agit de filmer un maniaco-dépressif résume ce que la mise en scène parvient à éviter: surtout pas de film-dossier sur les troubles bipolaires. Les Intranquilles nous épargne du même coup toute digression médicale. Ce qu'il advient d'un couple aux prises avec cette bourrasque passionne davantage Joachim Lafosse, lui-même marqué dans son enfance par les hospitalisations à répétition de son père et par l'écartèlement de sa mère sur le thème: "Je l'aime encore, mais la maladie, c'est trop difficile "...

Leïla Bekhti porte cet écartèlement comme son personnage porte son compagnon. Sauf qu'à un moment, elle n'en peut plus de jouer uniquement à l'infirmière, de s'oublier, de prendre du poids... Même topo pour le personnage masculin campé par un Damien Bonnard qui crève autant l'écran que dans Rester vertical, le film de Guiraudie où on l'avait découvert. Lui aussi voudrait être autre chose que son symptôme. C'est comme pour le COVID, ajoute Joachim Lafosse au micro de TSFJAZZ alors qu'on s'apprête à le questionner sur le port du masque auquel s'astreignent plusieurs personnages au gré du récit: "On a vécu un grand diagnostic. On en a souffert, mais on a aussi souffert de ne plus parler que de ça et d'amener d'autres maux avec. On allait tourner fou...". 

Alors pour ne pas "tourner fou ", et même si le spectateur se résigne (peut-être à tort...) à voir l'amour s'enfuir subrepticement au sein de ce couple, la mise en scène se fait volontairement accueillante. Une plage ensoleillée, une belle villa entourée d'arbres, l'atelier d'un peintre puisque c'est là la principale activité du personnage masculin... Autant d'espaces de beauté pour traquer la force désespérée d'un engagement amoureux, ou encore la maturité d'un gamin (Gabriel Merz Chammah) qui s'avère être le personnage le plus adulte du film. Les personnages échappent alors à leur statut de victime. Ce sont juste des cœurs battants et un peu perdus dont les pulsations désordonnées produisent sur grand écran une arythmie qui nous étreint jusqu'à l'os.

Les Intranquilles, Joachim Fosse, Festival de Cannes 2021 (Sortie en salles ce mercredi 29 septembre). Coup de projecteur sur TSFJAZZ, le même jour, avec le réalisateur.