Les 40 ans de la Fête de la Musique
Auteur d'un passionnant Roman du jazz qui a joué en son temps un rôle décisif dans mon rapport à cette musique (on en tournait les pages comme on bat la mesure à l'écoute d'un beau morceau...), l'historien et musicologue Philippe Gumplowicz m'a communiqué le contenu d'une intervention particulièrement évocatrice qu'il a prononcée jeudi dernier lors d'un colloque sur les 40 ans de la Fête de la musique à l'initiative du ministère de la Culture. Son titre ? "La Fête de la musique: cristallisation d'une politique ".
L'auteur y dresse un parallèle a priori surprenant entre la première édition du happening organisé par Jack Lang le 21 juin 1982 et la fameuse Fête de la Fédération qui célèbre le 14 juillet 1790 le premier anniversaire de la Prise de la Bastille. Même surgissement en partie mystérieux dans les deux cas: citant l'historienne Mona Ozouf ("Voici une fête dont l'idée jaillit presque au jour l'événement lui-même "), Philippe Gumplowicz rappelle qu'après toute une série de retards, il ne faudra qu'une quinzaine de jours pour que les Parisiens fassent du Champ-de-Mars un lieu d'accueil pour les Fédérés de tous les départements. Tempo tout aussi précipité pour la première édition de la Fête de la musique dont le principe sera seulement acté début mai en mode commando.
Même ambiance bon enfant, également, dans l'unanimisme qui entoure ces deux festivités. Il s'agit de fêter un nouveau régime un an après: 1789 pour la Révolution française, 1981 pour l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir. Sauf que dans les deux cas ce qui suit prête moins à l'euphorie: la "rigueur" en 1983, la Terreur en 1793. On entonne certes le fameux "Ça ira " au Champ-de-Mars, mais "le quatrain lourd de menaces sur les aristocrates à la lanterne, ce sera pour plus tard ". On rappellera à ce propos que dans un autre ouvrage marquant, Les Résonances de l'ombre, Philippe Gumplowicz nous apprenaitt que cet hymne révolutionnaire était emprunté à un air de contredanse que jouait Marie-Antoinette...
Quoi qu'il en soit, le succès des deux fêtes dépasse toutes les attentes, cristallisant leurs présupposés dans ce que Philippe Gumplowicz qualifie de manifestations "iréniques, auréolées d'angélisme égalitaire, porteuses d'avenir radieux." Autre point commun, la volonté de congédier le vieux monde. "Dans les deux fêtes, le contre-exemple est désigné: le salon, le cénacle, l'espace clos ". Une "douce transgression " s'opère, d'après l'auteur. Elle est initiée en 1981/82 par des militants du jazz, de la musique contemporaine et du classique tandis que sous la Révolution, comme l'écrit Mona Ozouf, "les citoyens s'enchantent du spectacle qu'ils se donnent les uns les autres ". Là encore, ça peut dégénérer. Fête de la musique ou cacophonie ? Que penser également de ces autodafés de clavecins -instruments identifiés à l'Ancien régime- dans les années qui suivent 1790 ?
Reste à évaluer la dose de parenthèse dont recèle chacun de ses événements. 1790 n'est pas forcément la date de la Révolution française qui a le plus défrayé la chronique. Quant à la Fête de la musique, elle a rapidement perdu de sa spontanéité initiale pour s'offrir au vernis de plus en plus ringard que lui offrait le showbiz. L'industrie musicale, en somme, a pris le dessus sur la fête. Reste ce que Philippe Gumplowicz appelle "l'inscription urbaine " bien que ponctuelle d'une "musique pour tous et par tous", dans le prolongement d'un "souci de soi post-68 ". Que plus grand monde politiquement parlant ne tente de revitaliser tous ces traits n'est pas la meilleure nouvelle de notre époque.
La Fête de la musique: cristallisation d'une politique, Philippe Gumplowicz, intervention prononcée le 16 juin lors d'un colloque sur les 40 ans de la Fête de la Musique dans la grande salle de l'Opéra Comique.