Leïla Olivesi a vu "Rewind & Play", le docu-choc sur Thelonious Monk
Crédits photo: Solène Person
Thelonious Monk tout en sueur lors d'une émission de télévision à Paris, en 1969, face aux questions triviales ou anecdotiques de son ami français, le producteur Henri Renaud... Les rushes de ce dialogue de sourds dont le réalisateur Alain Gomis retravaille le rythme et la respiration (dans tous les sens du terme...) sont au cœur de Rewind & Play, diffusé cet été sur Arte et qui sort en salles ce 11 janvier. Après en avoir déjà dit le plus grand bien, nous avons voulu solliciter pour TSFJAZZ le regard tout en finesse et en sensibilité de la pianiste, cheffe d'orchestre et compositrice Leïla Olivesi, promise à tous les lauriers depuis la parution de son nouvel album, Astral.
-Comment avez vous reçu ce documentaire ?
-J'ai vraiment été touchée par la proximité qu'on a avec l'artiste, déjà à travers ces gros plans dans sa vie personnelle lorsqu'il sort de l'avion et qu'il prend un café à Paris avec Nellie, son épouse... Ce qui est intéressant, c'est comment la caméra fait ressortir peu à peu la personnalité intérieure de Thelonious Monk. Il se passe plein de choses autour de lui lors de cette fameuse interview et il reste comme une sorte de monolithe. On se demande même s'il est en train de vivre ces instants là, s'il en a conscience, et puis par moments il se met à sourire, l'image s'éclaire, et on se rend compte petit à petit que Monk est tout à fait accessible mais que la temporalité de l'interview, avec toutes ces questions sans cesse répétées et ce moment pénible qu'il est bien gentil d'accepter, cela ne le concerne pas vraiment. Sa seule vraie temporalité, c'est quand il joue. Le reste, c'est le brouillard.
-N'avez-vous pas été troublé par le profil de l'intervieweur qui n'est autre qu'Henri Renaud et qui n'a pas vraiment le bon rôle dans cette histoire ?
-Peut-être, mais le rôle principal, c'est Thelonious Monk. Henri Renaud est effectivement l'un de ses amis, c'est un grand musicien et c'est grâce à lui que Monk est venu une première fois à Paris dix ans plus tôt, mais ce n'est pas le sujet. Quant à ses questions, elles semblent effectivement être choisies pour des raisons un peu étrangères à la musique. C'est une projection de ma part, mais j'imagine qu'il sait que Monk de toute façon ne va pas jouer le jeu classique de l'interview. Il s'efforce donc de poser des questions assez basiques en essayant de trouver dans le parcours du musicien des éléments susceptibles de toucher le public: le morceau qu'il a composé pour son épouse, le fait qu'il a un piano dans sa cuisine... Et finalement, Monk n'a pas spécialement envie de rentrer dans cette histoire. Il ne veut d'ailleurs rentrer dans aucune histoire médiatique, mais il reste disponible et sympathique, même s'il suggère à un moment qu'il n'a pas envie s'éterniser là.
-Mais il est aussi en souffrance !
-Il l'est en tout cas au niveau de la température... Il faut se rappeler qu'à l'époque, beaucoup de musiciens jouaient en costume avec des vestes assez lourdes, et ils transpiraient souvent. En plus, pour cette interview telle qu'elle était réalisée, il fallait un éclairage énorme. Mais bon, plus qu'en souffrance, j'ai l'impression que Monk est à l'intérieur de lui-même ou plutôt, il est à la fois ailleurs et à l'intérieur.
-Alain Gomis évoquait aussi sur notre antenne une sorte de décalage culturel entre Renaud l'Européen et Monk le noir américain comme si, même en étant tous deux musiciens et qui plus est les meilleurs amis du monde, le premier ne pouvait pas comprendre le quotidien pas toujours glamour du second. Qu'en dites-vous ?
-Je pense davantage à un décalage de personnalités qu'à un décalage culturel. Thelonious Monk est quand même quelqu'un de particulier. Il a un statut spécial et il n'a pas la communication facile contrairement, par exemple, à quelqu'un comme Duke Ellington qui avait l'habitude des médias et qui maîtrisait à un point qu'on ne soupçonne même pas tout ce qui était dit sur lui. Duke à la place de Monk dans cette interview, cela aurait été complètement autre chose.
-Et si c'est vous, Leïla Olivesi, qui vous étiez retrouvée devant Monk, comment auriez-vous négocié l'interview ?
-Je ne sais pas si j'aurais mieux fait. Je pense quand même que j'aurais essayé de lancer quelques idées en voyant laquelle lui plairait le plus, et à partir d'un éventuel sourire de sa part, j'aurais creusé la piste en question. Quant aux sujets, j'aurais peut-être parlé des musiciens avec qui il jouait, des dernières scènes où il a aimé joué, ou alors de sa dernière composition et de ce qu'il a essayé d'y trouver... Des questions un petit peu plus musicales en somme, mais je ne sais pas si j'aurais eu le job (rires)
-On n'a pas encore évoqué la partie purement musicale de ce documentaire, lorsque Thelonious Monk se met à jouer...
-C'est ce qui me touche le plus. Déjà lorsque Monk commence à tester le piano, il y a plein d'autres choses autour: les techniciens qui parlent entre eux, la cigarette qui se consume dans le cendrier... Et dès lors qu'il touche le piano, c'est déjà magique, même si c'est seulement pour un essai de son ou parce qu'il s'ennuie et qu'il joue un peu de piano pendant que les autres parlent entre eux. Tous ces moments m'ont donné une idée de l'intensité. C'est ce qui est beau dans ce documentaire. C'est comme un dialogue de Monk avec lui-même. Cette fois-ci, il est vraiment dans la vérité de son être.
Rewind & Play, Alain Gomis (sortie en salles ce 11 janvier). Astral, Leïla Olivesi (Attention Fragile/ACEL, L'Autre distribution). En concert au Bal Blomet le 1er février.