Dimanche 16 décembre 2012 par Ralph Gambihler

Le vrai scandale Depardieu...

Il a tenté à sa manière un remake de "Touchez pas au grisbi" et voilà que tout le monde lui tombe dessus. La curée dont Gérard Depardieu fait désormais l'objet laisse à vrai dire une curieuse impression. Est-ce vraiment contre l'exil fiscal de l'acteur et la mauvaise histoire belge qui va avec que se déchainent les bien-pensants ? Depardieu serait-il autant "traître à la patrie" aux yeux d'une certaine gauche s'il avait toujours été à droite, comme Johnny Hallyday ? Autrement dit ne lui fait-on pas d'abord payer son passage de Mitterrand à Sarkozy comme on a fait payer au héros de l'Amérique "progressiste" qu'était Clint Eastwood sa tirade anti-Obama ?

En vérité, le vrai scandale Depardieu est ailleurs. Le vrai scandale, c'est que l'évadé fiscal de l'an 2012 n'est plus que l'ombre du gigantesque comédien qu'il a été. Il faut évidemment se replacer dans une vie antérieure pour prendre la mesure du désastre. Au carrefour des années 70 et 80, le cinéma français disposait, au coeur de son ADN, d'un monstre sacré à l'égal d'un Michel Simon et d'un Marlon Brando. Il était à la fois "Loulou", "Danton", "Martin Guerre" et "Jean de Florette"... Ce n'était pas un acteur mais un roc ! Il suffisait de filmer son dos, comme dans  "La Lune dans le caniveau" ou "Sous le soleil de Satan" pour que l'écran s'embrase.

Taillé comme du granit, le type savait dans le même élan incarner une fragilité presque féminine, ainsi que Claude Miller ("Dites lui que je l'aime"), Alain Resnais ("Mon Oncle d'Amérique") et surtout François Truffaut ("La Femme d'à côté") allaient brillamment le démontrer... Même dans un rôle mainstream un peu improbable genre Lawrence d'Arabie ("Fort Saganne", d'Alain Corneau), Gérard Depardieu irradiait... Il y eut aussi "1900" de Bertolucci, et puis bien sûr les films de Bertrand Blier... Seul quelqu'un comme Patrick Dewaere, s'il n'était pas parti trop tôt -on pourrait dire la même chose du fils perdu, le céleste et conquérant Guillaume Depardieu- aurait pu rivaliser avec l'aura de l'interprète de "Buffet froid".

La suite fut tragiquement moins glorieuse. La suite, ce fut Cyrano, Christophe Colomb et Obélix...  "Le Camion" termina dans "Le Placard", les nanars se ramassèrent à la pelle et la bête humaine devint brute épaisse jusqu'à ce Jean Valjean de téléfilm qui déshonora les Harry Baur, Jean Gabin et autres Lino Ventura qui avaient endossé le même rôle. On eut droit à trois ou quatre films chaque année, au cabotinage comme ce n'était pas permis, à la déshérence absolue dans l'art de choisir ses metteurs en scène.

On parlait de Michel Simon quelques lignes ci-dessus... Depardieu osa même le remake de "Boudu sauvé des eaux" version Gérard  Jugnot !!! Soudoyé entre-temps par des frasques à la Samy NaceriGérard Depardieu a fini par briser sa légende... Au moins retrouve-t-il, dans une ultime tirade sentant un peu le réchauffé ("Vous avez dit minable ? comme c'est minable !"), le semblant de souffle qui rappelle le géant qu'il fut.

Polémique autour de l'exil fiscal de Gérard Depardieu en Belgique.