Jeudi 28 octobre 2021 par Ralph Gambihler

Le Voyant d'Etampes

"En gros, il est passé de Miles Davis au chant grégorien "... Voilà comment l'universitaire retraité du Voyant d'Étampes, un dénommé Jean Roscoff, résume lors d'une interview radio la trajectoire de son sujet d'études, Robert Willow. Curieux destin à vrai dire que celui de ce poète afro-américain oublié des années 50, dopé au jazz et au communisme avant de virer sa cuti stylistiquement parlant lors d'un exode mystique au fin fond de l'Essonne. Roscoff s'investit tout entier dans l'essai qu'il consacre à ce noir inconnu. Il oublie juste de préciser qu'il est noir, ou du moins il n'y fait pas vraiment allusion.

La suite résonne avec nos crispations contemporaines: Roscoff se voit taxé de racisme inconscient et d' "appropriation culturelle ". Un blogueur le met en joue, et c'est bientôt toute la planète "woke"  (l'autre nom du nouvel antiracisme "décolonial " mâtiné de féminisme radical...) qui se déchaîne sur les réseaux sociaux, détruisant la vie de notre antihéros sur un mode dont l'auteur de La TâchePhilip Roth, avait déjà observé en son temps la puissance vertigineuse.

On l'aura compris, le récit dans lequel se lance Abel Quentin avec Le Voyant d'Étampes  a tout pour plaire à Valeurs Actuelles. Le profil du roman comme celui de son auteur rendent en même temps l'affaire plus complexe. De son vrai nom Albéric de Gayardon, le romancier est aussi avocat commis d'office de l'un des accusés des attentats du 13 novembre 2015. En guise d'hussard biberonné au Printemps Républicain, peut mieux faire... L'auteur du Voyant d'Etampes a surtout une drôle de manière d'épouser la cause de son personnage, poivrot pathétique se souvenant avec une nostalgie rance de sa jeunesse à SOS Racisme, summum de légèreté quand le lecteur en perçoit surtout le parfum de compromission et de renoncement qui a tant marqué les années Mitterrand.

Les déboulonneurs d'aujourd'hui sont-ils vraiment pires que cette engeance eighties butinant entre le siège du PS et les fêtes cocaïnées de Canal+ tout en brandissant fièrement la bannière d'un universalisme antiraciste expurgé de tout enjeu de classe ? On a parfois bien envie de le secouer, ce Roscoff, même si on compatit avec ses tourments. Ne fait-il pas d'ailleurs amende honorable lorsqu'il reconnaît après coup que l'identité de Robert Willow est plurielle  et que sa condition de noir, par un cheminement spécifique, certes, aide aussi à comprendre son évolution ?

Bref, on ne sait pas toujours sur quel pied danser dans ce récit par ailleurs incontestablement prenant, parfois un peu lourd dans la charge politique mais qui a au moins le mérite de nous offrir plusieurs niveaux de lecture. Quant au rebondissement final, il nous fait vraiment regretter le fait que ce fameux Robert Willow soit un pur personnage de fiction.

Le Voyant d'Etampes, Abel Quentin (Editions de l'Observatoire)