Le terroriste noir
Peau noire, masques blancs en lisière de la forêt des Vosges. La peau d'un "frère obscur", comme le disait Léopold Sédar Senghor, dont il s'agit de réchauffer la mémoire. Prix Renaudot 2008 pour Le Roi de Kahel, Tierno Monénembo s'est attelé à cette tâche avec style et sensibilité. Le titre de son roman fait évidemment écho à L'Affiche Rouge d'Aragon, l'auteur reprenant à son compte -comme pour mieux en transfigurer le souvenir- le vocabulaire de l'occupant acharné, dans la nuit vosgienne, à mettre la main sur celui que les Nazis surnommaient "Der Schwarze Terrorist".
Il s'appelait Addis Bâ, et il a fallu 60 ans pour que le sacrifice de ce chef de maquis d'origine guinéenne fusillé le 18 décembre 1943 soit enfin honoré. Entre-temps, l'ex-tirailleur blessé puis recueilli par des villageois aura secoué bien des langueurs tout en remuant quelques jolis coeurs. Il faut dire que ce roc de courage est aussi un sacré coureur de jupons, et qu'on peut compter sur Tierno Monénembo pour chroniquer ses héros ordinaires en s'épargnant toute esquisse de solennité.
La Résistance hésite ainsi, tout au long du récit, à arborer sa majuscule. Elle se décline dans des gestes tantôt infimes, tantôt pittoresques, à l'image de cette nuit de la Saint-Barthélémy des cochons au cours de laquelle tous les porcins réquisitionnés par les Allemands sont abattus. Il n'en faut pas plus, pourtant, pour pouvoir se regarder dans la glace quant tant d'autres se sont vautrés dans la veulerie, et c'est tout à l'honneur de Tierno Monénembo d'avoir rendu hommage, non seulement à son résistant black, mais aussi à tous ces taiseux des Vosges qui tentaient chacun à leur manière de "servir de racines et d'ombrage à cet Africain que personne n'avait prévu et qui, à un continent d'ici, n'avait ni frère ni soeur, ni héritage ni mère. Rien que la triste musique de la neige, rien que le gouffre sans fond de la guerre"...
Elle s'efforce pourtant de comprendre l'indicible, la Germaine, cette narratrice survivante dont le monologue faulknérien vaut à lui seul tous les arbres à palabres des villages africains: "Comment un Noir peut-il se battre pour libérer la France ? (...) C'est comme si vous vouliez libérer vos maitres. Des nègres se battent pour la France et des Français pour l'Allemagne". Et Addis Bâ de lui répondre : "Cela a un nom, Germaine, la foutaise humaine"... Qu'un romancier venu d'Afrique francophone enrichisse ainsi l'une des pages les plus complexes et les plus sombres de l'histoire occidentale, ce n'est certainement pas de la foutaise.
"Le Terroriste Noir", de Tierno Monénembo" (Le Seuil) Coup de projecteur avec l'auteur, ce lundi 17 septembre, sur TsfJazz (7h30, 11h30, 16h30)