Mercredi 23 octobre 2019 par Ralph Gambihler

Le Ghetto intérieur

Le silence tel un supplice, un silence "si fort, si continu, si insistant, si acharné, que tout deviendrait lointain, invisible, inaudible -un silence si tenace que tout se perdrait dans un brouillard de neige". Ainsi Vicente Rosenberg, Juif polonais établi à Buenos Aires, s'enferme-t-il dans son "ghetto intérieur" lorsqu'il comprend, par les lettres qu'elle lui envoie, que sa mère, restée là-bas, n'en réchappera pas. Ainsi le "brouillard de neige" fait-il écho à Nuit et Brouillard.

De ce qui a tant rongé son grand-père dans la nuit nazie, lui qui était de l'autre côté de la nuit, Santiago  H.Amigorena fait le récit minutieux dans une langue soignée et épurée qui tente de trouver le ton juste entre les mots étouffés, perdus et noyés sous le désarroi. Le mutisme de Vicente désarçonne son entourage, ses amis argentins tout d'abord, puis sa femme, Rosita, dont l'auteur peine à retranscrire la déchirure intime entre l'amour qu'elle voudrait toujours ressentir pour son mari et ce qui le rend désormais détestable alors que ses proches -le dernier de ses enfants, surtout- aimeraient tant qu'il soit d'avantage présent.

Trop taciturne, l'exilé. Autant que l'auteur du roman, dirait-on. Le récit tarde à se cristalliser sur cette chronique du silence coupable, sans compter ces comblages historiques qui l'alourdissent fréquemment. Est-il encore si nécessaire, en 2019, de rappeler ce que fut la Conférence de Wannsee ? À quoi riment, toujours chez un auteur contemporain, ces rappels sur l'horreur de la Shoah ponctués de "Peut-on penser l'impensable ? Peut-on comprendre l'incompréhensible ?"... N'est pas Primo Levi qui veut. Si touchante soit l'évocation d'un destin tragique, elle ne peut que ternir à l'écrit quand le convenu et le déjà-lu prennent autant de place.

Le Ghetto Intérieur, Santiago  H.Amigorena (Éditions P.O.L)