Le club des incorrigibles optimistes
On ne parlait pas encore de "L' Archipel du Goulag ", Sartre avait survécu à Camus, et la France était ou gaulliste, ou communiste, voire même les deux à la fois... Raison de plus pour ne trop s'apitoyer sur ces réfugiés d'Europe de l'Est chassés par Staline et ses clônes et auxquels Jean-Michel Guenassia consacre un roman plein de chaleur.
Ce sont eux, les incorrigibles optimistes: Igor, Vladimir, Pavel, Leonid... Entre deux parties d'échecs dans l'arrière-salle du Balto, un troquet de Montparnasse où ils ont pris l'habitude de se retrouver, ces exilés continuent de refaire le monde. Jamais abattus malgré les drames du passé, la précarité du quotidien et le poids des illusions perdues, ils ont la cuite joyeuse, nos incorrigibles optimistes...
Ils savent surtout relativiser les malheurs du petit Parisien qu'ils ont adopté, Michel Marini, jeune cancre passionné de rock, de baby-foot et de littérature, et qui va trouver au Balto une seconde famille, car de la première famille, il ne reste plus grand chose, hormis une ribambelle d'aliénations. On est alors en pleine guerre d'Algérie, et c'est la grosse cassure chez les Marini entre la mère autoritaire et ses cousins pied-noirs, le père d'origine italienne dont le coeur penche un peu plus à gauche, et puis le frangin communiste qui va devenir déserteur en Algérie...
Jean-Michel Guenassia a raison de croire encore aux vertus du grand roman populaire. Il en maîtrise tous les méandres, au gré d'une construction sans failles et d'une galerie de portraits à la fois pittoresques et poignants. Portée par une mélancolie à la Ettore Scola, sa plume exhume un Paris couleur Doisneau qui sonne étonnamment juste, d'autant plus qu'aucune hypertrophie stylistique ne vient en plomber la puissance évocatrice. On devine en même temps la soif du détail et l'obsession de l'épure dans ces quelques 700 pages où la tragédie affleure sans crier gare à travers le personnage de Sacha, seul véritable damné au sein des incorrigibles optimistes... Tout cela évidemment se lit d'une seule traite et la main sur le coeur, en écoutant des chants russes, Fats Domino ou alors un air de Jerry Lee Lewis...
Le Club des incorrigibles optimistes, de Jean-Michel Guenassia (Editions Albin Michel) Coup de projecteur avec l'auteur le jeudi 10 septembre, sur TSF, à 8h30, 11h30 et 16h30