Le cas Richard Jewell
Il fallait bien que ça arrive. À l'approche de ses 90 ans, Clint Eastwood a pris un coup de vieux. Où est passée l'ambivalence qui caractérisait ses derniers films, y compris dans le fameux et controversé 15h17 pour Paris ? En lieu et place des "héros" qui ne sont pas tout à fait des héros (ou qui du moins ne sont pas filmés comme tels...), le réalisateur de Sully préfère cette fois-ci verser sa larme sur le malheureux Richard Jewell, aussi vigilant comme agent de sécurité lors de l'attentat ayant endeuillé les Jeux Olympiques d'Atlanta en 1996 qu'injustement récompensé lorsqu'on a tenté de lui mettre cette horreur sur le dos.
Le vrai poseur de bombe s'appelait Eric Rudolph, proche des milices anti-avortements. Identifié un an et demi après l'attentat mais arrêté seulement en 2003, il aura incarné, au même titre que l'auteur du carnage d'Oklahoma City en 1995, l'apparition sur le sol américain d'un "terrorisme intérieur" auquel les Etats-Unis n'étaient pas vraiment préparés. Surtout au moment où, sous le sceau d'un mercantilisme effarant, Atlanta devait célébrer avec autant de panache le centenaire des premiers Jeux Olympiques que la victoire des Américains dans la Guerre Froide.
Cette problématique, Clint Eastwood s'en fiche ouvertement. Ce qui l'intéresse avant tout, c'est le profil tête de turc de son vigile dont pas une seule fois le pouvoir d'empathie est pris en défaut. Y compris lorsque le bonhomme, dont on devine les penchants post-reaganiens, se met à harceler des étudiants fumeurs de joints. Paul Walter Hauser campe avec émotion ce pauvre gars à l'embonpoint prononcé qui vit chez maman avant de se retrouver dans les griffes de la police fédérale, mais pour ce qui est de la complexité des personnages "eastwoodiens", mieux vaut passer son tour.
Ce manque de surprise -c'est si rare, chez Clint Eastwood- et cette absence du moindre décalage pouvaient à la limite mériter l'indulgence, surtout au souvenir de la première partie du film, captivante dans la mise en scène de l'attentat autour du sac à dos abandonné qui contient l'engin explosif. Le jeu de Sam Rockwell en avocat faussement dilettante est également à mettre à l'actif du film. On n'en dira pas autant de ce personnage grotesque de la journaliste maquée blondasse qui met la main au niveau de l'entrejambe d'un type du FBI pour lui extorquer un scoop.
Au-delà de la lâcheté scénaristique (comment expliquer de la manière la plus expéditive le fait que la presse ait eu vent des premiers soupçons des enquêteurs...), le procédé diffame une rédactrice qui a réellement existé et qui n'est plus de ce monde pour se défendre. C'est le seul instant du film où Clint Eastwood nous surprend, mais en mal. Difficile, pour le reste, de ne pas relier cette scène incongrue à toutes les séquences larmoyantes autour de la génitrice du héros interprétée par Kathy Bates. Comme si chez Eastwood les femmes étaient soit des mères, soit des putains. Voire le mélange des deux, à l'image de l'assistante libidineuse de Sam Rockwell lui boutonnant sa chemise. Triste male gaze, étrangement passé sous silence par une certaine presse française si sourcilleuse en la matière.
Le Cas Richard Jewell, Clint Eastwood (Sortie ce mercredi 19 février)