Dimanche 2 mars 2014 par Ralph Gambihler

"L'aspect émotionnel" chez Alain Resnais...

"Respect pour Alain, même s'il en aurait ri", me trucide gentiment, sur Facebook, l'ami Noël Simsolo en réponse à un post où, bien que pointant deux ou trois films marquants d'Alain Resnais, j'observe ne pas avoir été autant emporté que d'autres par cette oeuvre "monumentale". "Les statues meurent aussi", donc... Celle du commandeur, auréolée de cette tignasse d'argent propice à bien des vénérations, avait indiscutablement trouvé en Alain Resnais son incarnation la plus aboutie avant même que le grand âge ne la cimente ad vitam æternam.

Filmographie-Panthéon: Hiroshima mon amour, L'année dernière à Marienbad... Que l'univers littéraire de Marguerite Duras et d'Alain Robbe-Grillet se greffa si étrangement sur ce que l'écriture cinématographique est censée receler de vivacité importait peu, visiblement. Il en alla de même, quelques décennies plus tard, lorsque la cérébralité affirmée de Resnais céda à des exercices de style disons plus alertes, guillerets et facétieux (Smoking No Smoking,  On connaît la chanson, Les Herbes Folles...), mais guère moins interrogateurs quant à leur intensité narrative et leur faculté à nous toucher au coeur.

Trois exceptions notables, pourtant, dans ce cinéma d'auteur aussi courtois que son auteur. Nuit et Brouillard, tout d'abord, avec son noir et blanc cisaillé de couleurs maladives, son art du montage érigé en frère ennemi définitif du négationnisme, l'indicible soudainement pulvérisé par la voix de Michel Bouquet et puis bien sûr la prose de Jean Cayrol transfigurée en chant de la conscience humaine: "A la fin, tous les déportés se ressemblent. Ils s'alignent sur un modèle sans âge qui meurt les yeux ouverts"...

Mon Oncle d'Amérique, ensuite... Le film le plus romanesque d'Alain Resnais. Ou comment le travail très sérieux d'un neurobiologiste se formalise dans une odyssée chorale à la Claude Lelouch. Des rats et des hommes... Des comédiens, surtout. Jamais une direction d'acteurs (superposée aux fantômes de Jean Marais, Danielle Darrieux et Jean Gabin) n'aura été aussi surprenante et aussi épanouissante, à l'instar d'un Gérard Depardieu méconnaissable en fils de paysan catho devenu directeur d'usine.

L'Amour à Mort, enfin... Flocons, revenants et musique de chambre avec, en guise de quatuor à cordes, Sabine Azéma, Pierre Arditi, Fanny Ardant et André Dussolier. L'art de l'épure porté à son apogée et, surtout, une parenthèse inhabituellement poignante dans la filmographie de son auteur. A l'époque (1984), un ado de 16 ans rédigeait sa première critique en presse écrite dans les colonnes de la Vie Ouvrière, l'hebdo de la CGT: "Dans L'Amour à Mort, c'est surtout l'aspect émotionnel qui doit retenir l'attention"... Avais-je déjà tout dit ?

Alain Resnais (3 juin 1922- 1er mars 2014)