Mardi 7 janvier 2014 par Ralph Gambihler

L'Année des volcans

Misère de tragédienne sur le tournage de Stromboli, de Roberto Rossellini. A la date du 9 avril 1949, Ingrid Bergman écrit dans son journal: "Nous avons essayé de tourner la scène avec le poulpe, mais il est mort. Nous aurions pu utiliser un autre poulpe, mais ici, on s'arrête de travailler quand un membre de l'équipe décède"...

Elle n'a pas fini de déchanter dans cette île aux fous, notre princesse scandinave. Son pirate de cinéaste qui la gifle en direct ("Tu ne pleures pas assez !") et dont elle porte déjà le bébé dans son ventre, l'absence d'électricité, les mouches, les thons que des pêcheurs massacrent sous ses yeux... "O Dieu de miséricorde, aidez moi !", implore-t-elle lorsque, pour finir, Rossellini la plante au pied du volcan en furie. Elle a déjà joué Jeanne d'Arc, mais la séquence du bûcher made in Hollywood, c'était de la rigolade à côté. C'est François-Guillaume Lorrain, critique de cinéma au Point, qui évoque, dans L'année des volcans, la fameuse liaison Bergman-Rossellini ainsi que le tournage non moins homérique de l'un des joyaux du cinéma transalpin.

Duo insulaire ? Odyssée en triangle, plutôt. Car non loin de Stromboli, sur une île voisine,  se déroule un tournage au scénario similaire dont l'actrice-reine n'est autre qu'Anna Magnani. Délaissée par Rossellini, l'héroïne au tempérament de feu de Rome, ville ouverte n'a rien trouvé de mieux, pour se venger de son ex-amant, que de tourner Vulcano sous la direction du très guindé et germanisant William Dieterle.

Une madone suédoise et une Romaine éruptive face à face, donc, chacune sur son île. L'une bravant tous les interdits, sacrifiant son confort pour "une purge, une cure d'austérité, un voeu de pauvreté, une guerre de libération et un couvent où se faire fouetter pour expier ses péchés de star hollywoodienne". L'autre en pleine errance de femme trompée, cherchant une prise à son tempérament électrique jusqu'à se rapprocher du cratère de ses tourments, sombrant au final dans une sorte de folie avec cette étrange manie de tout rebaptiser à son nom ("Elle s'était mise aux proverbes. Une Magnani de perdue, dix de retrouvées. Il faut se méfier de la Magnani qui dort")... Deux solitudes. Seul le détrousseur italien, le "voleur de poules", comme le surnommait Hitchcock qui avait lui aussi quelques vues sur Ingrid, retombera vraiment sur ses pattes.

François-Guillaume Lorrain se montre parfois injuste avec Rossellini, volontiers dépeint au fil des pages comme un opportuniste matois et mythomane. Comment peut-on, dans le même temps, filmer la grâce à l'état pur sur le visage d'une comédienne sans en être profondément amoureux ? En tout état de cause, le réel bonheur d'écriture chevillé à la plume de François-Guillaume Lorrain restitue toute l'aura de l'une des rencontres les plus improbables et les plus mythiques de l'histoire du 7e art... Ce genre de rencontres qui nous amène à penser, parfois, que la vie, c'est encore plus beau qu'au cinéma.

L'année des volcans, de François-Guillaume Lorrain (Flammarion).Coup de projecteur sur TSFJAZZ (12h30) avec l'auteur, le lundi 20 janvier.