Jeudi 22 mai 2008 par Ralph Gambihler

L'Ami américain

C'est le mystère de l'âge ou de l'humeur je ne sais pas. J'étais en tout état de cause passé complètement à côté de "L' Ami américain" lorsque je l'ai vu pour la première fois. On remet les compteurs à zéro : Bac Vidéo vient de sortir en DVD huit titres de Wim Wenders, et voilà que cet "ami américain" adapté de Patricia Highsmith, on a soudainement envie de lui serrer la main et de ne plus la lâcher.

C'est d'ailleurs un peu l'histoire du film: Dennis Hopper, un cynique trafiquant de tableaux qui ne dédaigne pas le chapeau de cow-boy dans les rues de Hambourg, a bien envie de serrer la main à Bruno Ganz, modeste encadreur gravement malade, alors qu' il a complètement bousillé son existence en le transformant en tueur à gage amateur. "L' un va secourir l'autre mais le perdre en même temps", comme le souligne le critique et jazzfan Michel Boujut, qui a consacré une célèbre étude au cinéma de Wim Wenders. Mais si "L' Ami américain" carbure autant, ce n'est pas seulement en fonction de ses personnages.

La mise en scène est une tuerie. Wim Wenders survolte tous les paramètres du film noir américain. Il prend le genre, et il en fait une symphonie, rien qu'à travers la B.O. orchestrale de Jurgen Knieper. Il invente des couleurs foudroyantes, et notamment une dominante rouge-bleue expressionniste. La séquence du meurtre au RER La Défense relève du master-class FEMIS, avec un sens de l' épure et une dynamique interne aussi "panthéonisables" que le climax de "French Connection"...

Le casting de l'affaire, enfin, tutoie directement l' anthologie: Nicholas Ray pour l' intro et la conclusion, Gérard Blain en guise de fil noir, Samuel Fuller côté guest-star (Godard savait très bien faire ça aussi), sans oublier la vignette Jean Eustache... Un cinéaste qui va chercher, comme ça, d'autres cinéastes et pas des moindres, pour "habiter" ses personnages, témoigne d'une sacrée foi dans son art, et accessoirement, aussi, d'une poignante difficulté à bâtir des vrais personnages de méchants puisque la plupart de ces cinéastes-acteurs campent des personnages de gangsters ou alors des types plutôt louches.

"December, 6, 1976... Here's nothing to fear but fear itself"... C'est sans doute cette sentence de Dennis Hopper enregistrée sur radio-cassette (et peut-être aussi le final du film, avec cette fausse ambulance déboulant sur une plage) qui a définitivement ancré "L' Ami américain" dans la catégorie des films-culte. Elle résonne comme un leitmotiv, cette phrase, ou plutôt comme la devise d'un cinéaste allemand qui n'a jamais renoncé à ses angoisses existentielles tout en trouvant un point d'équilibre extraordinairement fécond entre le vieux continent et le nouveau monde... "Paris, Texas", quelques années plus tard, devait valider, avec un lyrisme, une mise à nu des sentiments et une sincérité encore plus exacerbés, le passeport américain de Wim Wenders.

L' Ami américain (1977), de Wim Wenders, en DVD chez Bac Vidéo. Coup de projecteur sur TSF avec Michel Boujut le 26 mai à 6h30, 8h30, 13h et 17h