La plus secrète mémoire des hommes
Voilà un roman au titre envoûtant, comme son ambition, d'ailleurs... Encensé par le tout-Paris de la critique littéraire, le jeune romancier sénégalais Mohamed Mbougar Sarr entend hisser son propos à la hauteur d'une grande déclaration d'amour à la littérature. Le cahier des charges suppose une narration labyrinthique à souhait, mais aussi un point de vue suffisamment dépaysant pour des esprits trop occidentalo-centrés: le statut de l'écrivain africain post-colonial, par exemple. Quelques sentences bien placées, genre "Un grand livre ne parle jamais de rien ", ou alors "Le hasard est un destin qui s'ignore " peuvent aussi contribuer à faire Goncourt ou Fémina.
La réalité, malheureusement, est bien plus triviale: La plus secrète mémoire des hommes ne tient ni ses promesses, ni la distance. Son narrateur, Diégane, dont l'ego plus ou moins boursouflé vivote dans le cercle des écrivains africains de Paris, s'entiche d'un roman mythique paru en France à la fin des années trente. Son auteur, qualifié à l'époque de "Rimbaud nègre ", a mystérieusement disparu de la circulation après avoir été accusé de plagiat. C'est par le biais d'une autre narratrice également romancière, Siga, "l'Araignée-reine ", que le lecteur découvrira la trajectoire inquiète et inquiétante de l'auteur maudit, des années noires de l'Occupation à l'Argentine lors de sa période dictatoriale.
Enchâssements tromboscopiques, méditations gorgées de majuscules, tentatives de cocktails où le spirituel et le sensuel se neutralisent dans un résidus vaguement ésotérique... Le lecteur se perd peu à peu dans un embrouillamini de personnages qui ne font pas toujours sens, à l'image d'une poétesse haïtienne qui semble posséder la clé de toute cette histoire. Le roman mythique en question s'avère bien pauvre en contenu et le passage par la case "Shoah" relève davantage du parcours obligé chez Mbougar Sarr, tout comme sa chronique finalement très terre-à-terre d'une contestation politique au Sénégal.
N'est pas Borges qui veut. De fait, la prose touffue de l'auteur ne parvient pas vraiment à en dissimuler ses dérivés hallucinogènes et ses larsens de sono même si aimerait en savoir davantage sur ce groupe de fusion sénégalais -Super Diamono- que le narrateur adore et dont l'un des morceaux, paraît-il, est "forgé dans la lave de 12 minutes de jazz "... De quoi nous faire réellement voyager, peut-être, a contrario des impasses de ce vrai-faux roman-monde.
La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr (Éditions Philippe Rey)