La petite bande
"Je suis une pierre qui roule et qui se dépouille de sa mousse "... Comme en écho à Pierre Drieu la Rochelle dans Journal d'un homme trompé, les personnages masculins de La petite bande ont de moins en moins le cœur à la fête. Le dandysme ne paie plus, l'époque convulse de bêtise, les femmes à qui de toute façon ils font si mal l'amour savent rendre des coups destructeurs. Même l'amitié a de ses fragilités...
Ainsi exultent ou dépérissent, à 20 puis à 40 ans, les masculinités hautes en couleur d'un premier roman charmeur et suranné. Difficile à première vue d"associer son auteur, le fin et jovial Vincent Jaury, à la revue qu'il dirige, Transfuge, dédiée avant tout aux littératures étrangères et à ce qu'elles nous disent des aspérités du monde. L'univers, ici, est plus confiné mais subtilement dosé, à l'image d'un récit qui ne s'encombre d'aucune longueur et d'une prose gorgée d'élégance.
La mélancolie, au moins, sait se tenir. On croise des prénoms comme Hadrien et Pierre-Marie, ou alors, chez ces dames, Bianca, Tifanny et Soraya. Les garçons se sont connus dans un lycée huppé du quartier d'Auteuil. Ils ont cocaïné comme il se doit mais ils ont lu Montherlant, fréquenté les opéras, admiré de belles demeures... Que pèse tout ça au final quand une fille vous rend fou ou alors quand revient à l'esprit, comme c'est le cas pour le narrateur, le souvenir d'un grand-oncle juif assassiné ?
Entre épreuves et marivaudages, on a déjà 40 ans. Cela ne devait pas survenir plus tard, l'initiation à la vieillesse et à ce "rythme lent de la marche à la mort qui ne s'affole pas encore " ? Même si une autre typologie de personnages nous aurait davantage parlé sociologiquement parlant, ce récit dévoile subrepticement nos fêlures. S'y devine aussi, par-delà les "bras noirs des arbres des Tuileries ", la quête émouvante de la fameuse lumière verte immortalisée par Scott Fitzgerald et vers laquelle ces mal-aimés façon petite bande tendent désespérément les bras.
La petite bande, Vincent Jaury (Éditions Grasset)