La Passion de Dodin Bouffant
Il a fallu réquisitionner deux salles de projections de presse. La première pour les journalistes, la seconde pour les étudiants d'une école hôtelière venus en nombre. Le spectacle peut commencer: pot-au-feu, carrés de veau, omelettes norvégiennes... Couleurs calibrées et pas trop contrastées, ça nuit à l'appétit, paraît-il... Bande-son toute aussi attentive à la cuillère qui touille, ou encore au contact entre le beurre fondu et la casserole en acier émaillé. Derrière la caméra, le réalisateur franco-vietnamien Tran Anh Hung, exhumé des limbes où il semblait s'être fait oublier depuis sa caméra d'or en 1993 pour L'Odeur de la papaye verte. Nettement moins vegan, son dernier opus, surtout avec le très étoilé Pierre Gagnaire comme conseiller technique.
Ceci étant, le quart d'heure Maïté, c'est bien, mais il y a quand même un film à dérouler. Voici donc le bouffi et bouffant Dodin , gastronome de son état, et sa cuisinière, la peu lymphatique Eugénie. Ces deux-là n'ont pas vraiment le temps de chômer dans la maison bourgeoise de la fin du 19e siècle où ils confectionnent des plats complexes tout en entretenant une relation quelque peu élastique. Amis ou amants ? La demande en mariage, de fait, tarde à se matérialiser. Quelques amis viennent prendre leur rond de serviette. Ils font de belles phrases toutes plates.
En mal de digestif, le spectateur se met alors à rêver d'une bonne poire. Malheur, le réalisateur lui sert alors le plus consternant des raccords entre une poire dans une assiette, façon nature morte, et le postérieur aussi fruité, semble-t-il, de Juliette Binoche étendue sur ses draps. La comédienne fait ce qu'elle peut, même si son partenaire, Benoît Magimel, paraît complètement ailleurs. Comme il faut bien passer le temps, on se surprend tout de même à s'émouvoir un peu des retrouvailles entre l'ancien couple des Enfants du siècle, 20 ans après leur séparation.
Pour le reste, triple mystère... Comment un objet filmique aussi saugrenu a-t-il pu se retrouver dans une sélection officielle à Cannes ? Comment a-t-il fait pour décrocher dans la foulée un prix de la mise en scène avant de supplanter le si abouti Anatomie d'une chute de Justine Triet lorsqu'il s'est agi de sélectionner un film français pour les Oscars ? Volonté d'écarter une réalisatrice présumée indomptable au profit d'un récit sagement ancré dans les clichés de la cuisine française ? On se perd en conjectures même si au final, on n'a pas trop envie de remuer la sauce.
La Passion de Dodin Bouffant, Tran Anh Hung, prix de la mise en scène à Cannes (Sortie en salles ce 8 novembre)