La maire courage de "Sambre"
Dans le flot de louanges sur Sambre, cette mini-série de France 2 qui retrace comment un violeur a pu passer pendant trente ans à travers les mailles du filet dans le nord de la France, Jonathan Turnbull concentre l'attention. Il crève l'écran effectivement dans le rôle du coupable, cet ouvrier exultant de sociabilité que personne ne veut soupçonner alors même que son portrait-robot est affiché sur le mur d'un commissariat. Mais est-ce vraiment lui la "vedette" de la série ? En tirant au mieux partie d'un livre-enquête de la journaliste Alice Géraud, le réalisateur de Sambre, Jean-Xavier de Lestrade, met d'abord en lumière des femmes bluffantes de justesse et d'émotion, qu'elles soient meurtries par un trauma dont le poids et les traces sont filmés ici avec une puissance inouïe, ou alors lanceuses d'alerte aussi déterminées que freinées dans leur volonté de coincer le violeur.
Trois d'entre elles, une juge, une maire et une scientifique spécialisée dans le profilage géographique dominent respectivement le 2e, le 3e et le 4e épisode avant l'irruption décisive d'Olivier Gourmet dans le rôle du commandant qui parvient à démêler l'affaire. C'est la maire qui nous parle le plus. D'abord parce que c'est Noémie Lvovsky qui lui donne magnifiquement chair, ensuite parce que derrière l'actrice, on découvre une personne exemplaire, Annick Mattighello, cette maire courage de la commune de Louvroil qui, lorsqu'elle apprend que le violeur a sévi à plusieurs reprises dans sa ville, décide en septembre 2002 d'alerter ses concitoyennes à travers une conférence de presse.
L'épisode met en lumière sa solitude. Elle, l'élue communiste biberonnée à la solidarité, se retrouve critiquée de toute part: elle cède à la psychose, elle nuit à l'enquête, elle dévalorise sa région déjà socialement aux abois... Sambre se fait d'ailleurs l'écho d'un sénateur "du même bord " qu'Annick Mattighello qui l'aurait désavouée à l'époque. On n'en retrouve pas trace a posteriori. On s'interroge également sur ce qu'a pu être la position de celle qui était alors la secrétaire nationale du PCF. Si sensible aux questions féministes, Marie-Georges Buffet est-elle restée silencieuse ? Même questionnement au sujet du puissant député communiste du Nord Alain Bocquet, pressenti à un moment pour succéder à Georges Marchais et dont un certain Fabien Roussel a été le poulain le plus performant.
Cherchant et enquêtant ici et là, on sait au moins que la "maire coco", comme ils disent dans la série, aura été soutenue par son parti sur le plan local. Son aura d'ancienne "métallotte" entrée à l'usine à 18 ans (jusqu'à être rattrapée aujourd'hui par des soucis de santé liés à l'amiante...) a compté à l'époque, ainsi que sa promotion à la direction nationale du PCF dans les années 90 tout en dirigeant la fédération du Nord. Annick Mattighello ne s'est pourtant jamais laissée notabiliser, jusqu'à dégringoler soudainement de la hiérarchie communiste au tournant des années 2000. Le Parti "l'envoie" alors dans la Sambre. Objectif: sauver Louvroil, cette commune ouvrière que tous les observateurs voyaient déjà dans l'escarcelle du FN. Elle est élue. Et pourtant, lors de sa fameuse conférence de presse sur le violeur de la Sambre, certains oseront prétendre qu'elle donne des billes à l'extrême-droite sur le terrain sécuritaire.
Grande dame, vraiment, qui a dû en voir, si on peut dire, des rouges et des pas mûres. Annick Mattighello a toujours été, pourtant, d'une loyauté indéfectible envers son parti malgré une ultime déconvenue, en 2018, lorsque le conseil municipal de Louvroil élit un autre maire que celui qu'elle souhaitait comme successeur. Là encore, on aimerait savoir dans quel camp étaient certains des putschistes au moment de la conférence de presse, une quinzaine d'années plus tôt.
Sambre, six épisodes, Jean Xavier de Lestrade, avec Noémie Lvovsky dans le rôle d'Annick Mattighello. En replay sur le site de France Télévision.