La Grande Bellezza
Voilà un mort-vivant qui a de la gueule ! Déterrant l'âge d'or du cinéma italien à l'aune des années Berlusconi, "La Grande Bellezza" de Paolo Sorrentino assume magistralement son caractère hybride, zombie et défroqué. Une ode à Rome façon "Dolce Vita", a-t-on pu lire ici ou là... Sans doute, mais il s'agit alors d'une ode bizarrement suturée, minée de vergetures, concédant quelques facilités et oscillant entre plusieurs conclusions avant de s'imposer par une verve narrative, une virtuosité et une ampleur dans le propos qui replacent la cinématographie transalpine à un niveau qu'on ne lui connaissait plus guère.
Profil aquilin et cynisme en bandoulière, Toni Servillo chaloupe comme Marcello Mastroianni autrefois dans le néant des nuits romaines. Son personnage est un vieux beau de 65 ans, écrivain raté reconverti dans le journalisme culturel et autres mondanités dont il s'évertue à détraquer la mécanique. Il le dit d'ailleurs lui-même: "Je ne voulais pas seulement participer aux soirées, je voulais avoir le pouvoir de les gâcher"...
Piètre ambition ! Fellini filmait la décadence, Sorrentino met en scène la déchéance. Le snob est devenu le comble du vulgaire. Adieu Nino Rota... C’est désormais sur des airs de techno que s’agitent des corps suants, cocaïnés et ventripotents tandis qu'à l'arrière-scène des bourgeoises dissertent sur le jazz éthiopien. Entre deux cougars liftées, heureusement, notre anti-héros s'aère un peu l'âme en faisant la rencontre d'une stripteaseuse d’une quarantaine d’années à laquelle il voue une sorte d'attachement platonique.
Elle est emblématique du grand peuple romain, cette stripteaseuse. Ce n'est pas trop son genre, les fêtes dégénérées et autres happenings où des gamines hystériques jettent des pots de peinture sur une toile géante pour faire oeuvre d'art. L'extatique est ailleurs. Dans ce palais nocturne peuplé de statues antiques, par exemple. Elles sont filmées comme les fameuses fresques du métro s'effaçant au contact de l'air dans "Fellini Roma"... Mais la stripteaseuse, bientôt, disparaît et c'est un cardinal qui investit l'écran avec ses recettes de cuisine avant de se faire piquer la vedette par une Mère Térésa centenaire se nourrissant de racines tout en faisant apparaître des flamants roses sur un balcon.
Quel panache, au final ! Cette Rome baroque qu'il idolâtre et vomit à la fois, le réalisateur de l'autarcique et ultra-codé "Il Divo" lui insuffle un nouveau vent de folie, non pas sur le thème du "c'était mieux avant" mais plutôt "ce ne peut plus être comme avant"... Bravissimo, Signore Sorrentino !
"La Grande Bellezza", de Paolo Sorrentino, festival de Cannes 2013, le film est sorti en salles mercredi.