La Graine et le Mulet
Le nouveau Pialat s'appelle Abdellatif Kechiche, et la nouvelle Sandrine Bonnaire s'appelle Hafsia Herzi. On avait vraiment eu peur, jusqu'à présent, pour le cinéma français. On le trouvait engourdi, gluant, ânonnant et aussi un peu vichyssois de temps en temps. C'était avant La Graine et le Mulet... avant cette drôle d'intrigue sur une couscoussière égarée que le réalisateur de L'Esquive transforme en tragédie grecque. Il y a aussi du Renoir, du Capra, du Sautet chez Kechiche...
Et surtout Pialat, donc, avec cette technique si particulière qui consiste à découper en méga-blocs son récit en y creusant, jusqu'à l'épuisement, toute la gamme des émotions possibles. Vous vous souvenez du repas de famille de A nos amours? Eh bien vous trouverez le même type de séquence et la même rage de cinéma dans La Graine et le Mulet. Les sentiments y sont nus et bouillants. Quand un personnage craque, ça explose sur tout l'écran, on ne peut plus l'arrêter, et la caméra de Kechiche elle-même ne peut plus l'arrêter. Les mots, quant à eux, sont ancrés dans une façon de parler dont on ne parle jamais dans les médias, y compris lorsqu'on prétend saisir le fameux métissage de la société française.
C'est l'intensité dramatique des comédiens, enfin, qui achève de nous retourner. Slimane, l' ex-ouvrier licencié qui rêve d'ouvrir un restaurant sur un vieux bateau, c'est Habib Boufarès. Kechiche nous donne à entendre ses silences, sa fatigue et cette colère rentrée typique de ces vieilles générations d'immigrés qui ont d'abord appris à "s'écraser" lorsqu'on les provoque. Rym, qu'il élève comme si c'était sa propre fille, c'est Hafsia Herzi, époustouflante d'énergie et de sensualité... Ces deux là n'ont plus beaucoup de souffle, au sens propre du terme, lorsque le générique de fin tombe, comme un couperet, après 2h30 de vibrations sans anesthésie, mixées dans tous les sens, et qui vous laissent forcément un peu "ailleurs" lorsque vous quittez la salle de projection...
La Graine et le Mulet, d'Abdellatif Kechiche (Sortie en salles le 12 décembre- Coup deprojecteur le même jour, sur TSF, avec Hafsia Herzi, à 6h30, 8h30, 13h et 17h)