La Faux soyeuse
"Dans l'univers cotonneux et chaud de la défonce opiacée, le sang n'est rien"... Les mots roulent dans le coeur qui se les repasse en boucle. Sonorités moelleuses (univers/cotonneux/chaud), allitérations sifflantes (défonce/opiacée/sang)... La Faux soyeuse est tout entière dans ce mouvement, bien au-delà du jeu de mots. Poète, tes papiers ! A 53 ans, Eric Maravélias vit à Perpignan et savoure le buzz autour de son 1er roman.
Dans une vie antérieure, il a mené une vie de paria, de galérien et de toxico dont Franck, son personnage principal, est le reflet. 20 ans de chute entre 1979 et 1999, des seringues de plus en plus crades du côté de Cachan et Bagneux mais aussi quelques bouées de sauvetage: Eric Maravélias s'est ainsi plongé dans le grand roman noir américain façon Ellroy, James Lee Burke ou encore l'ancien taulard Edward Bunker. Il a aussi tâté de la guitare avant d'enseigner l'harmonie du jazz. Mais de ces soupapes artistiques il n'est guère faire allusion dans le récit, excepté ce vieux disque de Pat Metheny que Franck écoute brièvement dans un lecteur d'autoradio.
Le reste, c'est dérives et agonie. Le roman pulse exactement comme il faut entre passé et présent, veillant par de savants retours en arrière à ne pas asphyxier le lecteur. Avant que le corps ne tombe en ruine, il exulte, même si c'est de la pire des manières. Avant le Sida, la fête. Avant la faux, le soyeux. Folle époque. Eric Maravelias en restitue avec une lucidité aigüe les repères sociétaux, les engrenages, la géographie. Quelques mots lui suffisent pour déterrer l'îlot Chalon ("Vers 1985, un bruit s'est mis à courir parmi les toxicos. Il y avait un plan de fous à la Gare de Lyon") ou pour exhumer le vocabulaire d'avant ("Un mois après, Titi était morgane")...
On se croirait parfois dans un film de Claude Sautet. Rachid, Clarence, Max et les autres. Et puisqu'on est chez Sautet il y a forcément un troquet, avec un taulier qui n'a pas encore viré FN et qui a une fille en or, Cathy. Toute la bande en est raide dingue. Seulement voilà, "dans l'univers cotonneux et chaud de la défonce opiacée, le sang n'est rien". Et l'amour, et l'amitié, tombent pareillement en cendres. Requiem pour une génération perdue, La Faux soyeuse entre alors dans les tréfonds de la première personne du singulier. La pluie fouette deux peupliers, le matelas est pourri d'auréoles sombres, la petite radio est muette. Comme le dit Franck dans son cagibi terminus, il est temps d'emmerder la mort.
La Faux soyeuse, Eric Maravélias (Série Noire/Gallimard). Coup de projecteur avec l'auteur, sur TSFJAZZ (12h30), lundi 2 juin.