La faute à Saddam
À ce niveau d'ensoleillement, son sourire n'en finit plus de les faire suffoquer, les autres, dans la fournaise du désert. Ils le vannent, ils l'asticotent: "Qu'est ce que ça fait d'aller se battre contre tes frères?", ou encore "T'auras pas à leur couper la queue, ils sont circoncis, comme toi"... Alors peu à peu, au sein de ce régiment français censé "libérer" le Koweit lors de la première guerre du Golfe, le sourire d'Adel se perd dans les sables.
"Tout ça, c'est la faute à Saddam", dira le père, plus tard, sans être dupe de ce que la France a fait à son fils, comment elle lui a ri au nez lorsqu'il se disait Français, ce qu'elle inflige par ailleurs à tant de descendants de l'immigration maghrébine en quête d'émancipation. Même lorsqu'ils s'engagent dans l'armée. Écriture au scalpel de Samira Sedira dont l'univers à fleur de peau s'incarne dans un personnage masculin après deux récits au féminin singulier: L'odeur des planches, où cette ancienne comédienne en fin de droits racontait sa reconversion en femme de ménage, et Majda en août, chronique d'une femme blessée écartelée jusqu'à la folie entre deux cultures.
Appartenance contre assignation. Ne demandez pas à Samira Sedira, née en Algérie et ayant grandi à La Seyne-sur-Mer, de vous préparer du thé à la menthe, c'est plutôt le bœuf bourguignon qu'elle cuisine à merveille. Elle n'a pas non plus son pareil pour faire cohabiter un fromager, un vitrier et un rémouleur dans le Toulon populaire où ont grandi Adel et son meilleur pote, Cesare. Ce dernier sera d'autant plus traumatisé par le destin de son ami qu'il n'a pas été tout à fait à la hauteur dans le désert d'Arabie lorsque Adel dévissait inéluctablement. Mais ce n'est pas forcément Cesare dont on s'imprègne le plus dans La Faute à Saddam.
Celle qui emporte le morceau, c'est Violette, l'ancienne prostituée toulonnaise qui resurgit à la fin du roman, "encore plus attendrissante dans son arrière-saison qu'elle ne l'avait été à la fleur de son âge". Elle sent la crème Nivea, Violette. Elle a aussi cette drôle de phrase par rapport à ce qui est arrivé à Adel: "Les hommes sont des caisses fermées, dont la clé est l'épreuve". Un ange passe. Ou alors un bourdon aux rayures jaunes dans la froidure de l'hiver, dernier flash d'un récit qui s'imprime dans le cœur.
La Faute à Saddam, Samira Sedira (Éditions du Rouergue). Coup de projecteur avec l'auteure, le jeudi 22 mars, sur TSFJAZZ (13h30)