La dernière chasse
Les héros sont fatigués. Jean-Christophe Grangé pareillement. L'un de ses derniers opus, Lontano, laissait pourtant espérer un renouvellement salutaire chez cet auteur qui, en matière de thriller à l'américaine, a malheureusement trop souvent bâclé ses mayonnaises. Entre Les Atrides et les Rougon-Macquart, sa peinture d'une dynastie putréfiée à l'ombre de la Françafrique semblait pourtant lui ouvrir de nouveaux espaces.
Peine perdue. De sa poussive entrée en matière à un dénouement bien décevant, La Dernière chasse ne parvient guère à capter véritablement l'attention du lecteur malgré un décor pénétrant, celui de la Forêt-Noire, cet écheveau végétal du sud-ouest de l'Allemagne dont les lignes de pins sinusoïdales enrobent ici ou là des oasis de sérénité comme le lac Titisee. Non loin de là, la ville de Fribourg, avec ses colombages, ses murs colorés et ses cyclistes écolos, ne déroge pas à son statut d'adresse incontournable. Seulement voilà, de Jean-Christophe Grangé, on attend autre chose qu'un Guide du Routard romancé spécial Bade-Wutermberg.
La sinistre partie de chasse au cœur de l'intrigue, quant à elle, accumule les clichés. Un héritier de patrons prussiens retrouvé en mille morceaux, une comtesse-walkyrie carnivore à tout point de vue, une race canine disparue qui refait surface, tout comme le souvenir d'un ancien escadron de la mort nazi... La prose est distrayante, mais les penchants germanophobes de Grangé épuisent au bout d'un moment.
Seul son héros fatigué et tout rouillé nous laisse entrevoir ce qui aurait pu fonctionner. En repêchant des Rivières Pourpres Niemans, l'enquêteur dur-à-cuir désormais plombé d'une légion de traumas, l'auteur chronique avec un malin plaisir la déconnexion inédite du bonhomme, pas tant sur le plan athlétique (quoique...) que mental, d'autant qu'il est flanqué d'une jeune admiratrice croate sans doute plus performante, mais pas moins instable sur le plan psychologique. Tout à sa peur des chiens, Niemans plonge de chausse-trappe en impasse dans cette enquête qu'il ne maîtrise pas un seul instant, y compris dans sa conclusion. Il est temps, sans doute, de lui accorder un repos mérité.
La Dernière chasse, Jean-Christophe Grangé (Albin Michel)