Vendredi 28 novembre 2014 par Ralph Gambihler

La Danse du Diable

Plus bouillonnant et plus bondissant encore (ou réussissant, du moins, à le faire croire...) que lorsqu'il inaugurait sa Danse du Diable sur les tréteaux d'Avignon en l'an 81, Philippe Caubère bluffe son public, chaque soir, au théâtre de l'Athénée-Louis Jouvet. A son corps défendant ? Qu'importe ! A ce corps qui lui dit de ne pas en faire trop, Caubère le troubadour oppose un magistral tour de force. Sur scène, il fait troupe à lui tout seul. Il est à la fois Ferdinand à 5, 10 et 18 ans, montant au théâtre comme on s'engage au front, mais aussi son pote, Robert, qui ne se lasse pas de raconter le concert de Johnny "Holiday" au Parc Borély.

Il est Ferdinand et soudain devient Micheline Galiard, la première prof de théâtre du jeune apprenti-comédien, celle qui conseillait aux débutants de s'imprégner du goût du citron pour jouer l'amertume ou alors de se prendre pour une algue marine de manière à se décontracter. On n'en est pas encore, dans ce premier volet, à l'épopée Ariane Mnouchkine, mais on voit bien comment Philippe Caubère a été initié, très tôt, aux théâtreuses givrées et flamboyantes.

Ferdinand et ses fantômes, également. De Gaulle, Mauriac, Sartre... Et surtout Claudine, la mère trop tôt disparue. C'est lorsqu'il se met dans sa peau, et alors qu'il est désormais plus âgé qu'elle, que Caubère atteint à la fois les sommets du rire et de l'émotion. Plus besoin, cette fois-ci, de forcer le trait, comme on le ressent un peu de temps en temps au cours du spectacle. La comprend-il d'avantage, désormais, la mama faussement réac d'autrefois, coincée entre sa femme de ménage prolétarienne et son rebelle de fils qui ne voulait pas croire à l'existence des camps (elle dit "goulach" au lieu de "goulag") en Russie ?

Le personnage est irrésistible. Aussi bien  dans sa façon de rabattre le caquet de quiconque la contrarie que dans ce qui fleurit au travers de sa tchatche et de l'amour qu'elle a pour son fils. En 1981, déjà, Philippe Caubère affirmait penser au public mais pas seulement. Il évoquait aussi une pièce pour les comédiens. Ils sont nombreux à faire le déplacement, en ce moment, à l'Athénée-Louis Jouvet... Jeunes comédiens en quête de confiance, sans doute, face à un acteur-monstre qui déclare, au micro de TSFJAZZ, qu'il n'aime pas les metteurs en scène d'aujourd'hui, et encore moins les gourous qui donnent des leçons à répétition jusqu'à mutiler la personnalité d'un futur Hamlet. Cette reprise tellement actuelle de La Danse du Diable, à sa manière, participe d'un théâtre de la libération.

La Danse du Diable, Philippe Caubère, Théâtre Athénée-Louis Jouvet, à Paris (Jusqu'au 7 décembre)