La Captive de Mitterrand
Omerta en Mitterrandie. Quand David Le Bailly se décide à dévoiler le visage de l'énigmatique Anne Pingeot, il ne se heurte pas seulement au courroux de la maman de Mazarine. Les ex-courtisans vont faire bloc, eux aussi, pour barrer la route au jeune journaliste de Paris-Match. L'un d'eux lâchera même cette phrase étonnante lorsqu'on se dit de gauche: "Les gens qui comptent ne vous parleront pas. Mais il vous reste toujours la possibilité d'appeler les domestiques !"...
De quoi lui offrir un boulevard, à notre confrère, pour faire dans le Closer et le secret d'alcôve. Il n'en est rien, heureusement, parce qu'au secret d'alcôve, David Le Bailly préfère ce qu'il appelle le "secret bourgeois" puis le secret d'état. Il offre même une lecture politique de la rencontre entre François Mitterrand et Anne Pingeot...Une lecture à la Médiapart, pourrait-on ironiser, l'écurie d'Edwy Plenel s'étant ridiculement offusquée qu'on vienne ainsi marcher sur ses plates-bandes.
La thèse centrale de l'ouvrage, c'est qu'au-delà même de son profil d' "intello suractive cavalant dans Paris à bicyclette", Anne Pingeot a incarné la France cachée de Mitterrand. Cousine éloignée des Michelin, héritière peu farouche de cette grande bourgeoisie de Clermont-Ferrand se jetant avec autant d'avidité dans les bras d'un maréchal en juin 40 que dans ceux d'un général en juin 68, elle exhale, de par ses origines, un parfum familier à son vieil amant.
Il en tombe d'ailleurs amoureux à une période -début des années 60- où il lui faudra, justement, taire ce carnet d'adresses clermontois. Où il faudra aussi ensevelir une malencontreuse francisque de jeunesse ainsi que l'attachement à ce bon vieux pays terrien, catho et plus ou moins maurrassien. Où il faudra amuser la galerie avec Danielle et amuser la gauche avec l'Homme à la Rose. Anne Pingeot n'est pas du genre à recevoir des roses. Elle serait plutôt, pour son cher Cecchino ("Petit François", en italien), le lys jamais brisé d'une France éternelle. On imagine, dés lors, le sourire carnassier de Giscard en plein débat télévisé quand, en 1974, il balance à son rival à-propos de Clermont-Ferrand : "Une ville que je connais et qui vous connait, Monsieur Mitterrand"... Un propos encore plus déstabilisateur, peut-être, que le fameux "Vous n'avez pas le monopole du coeur"...
Qui fut le plus captif des deux, au final ? Le titre de l'ouvrage, qui fait référence à une période moins intéressante de la vie d'Anne Pingeot (la jeune femme piquante d'autrefois devenant la cloîtrée rembrunie du Quai Branly), ne rend pas tout à fait justice à ce sacré bout de femme à l'énergie vivifiante dont François Mitterrand s'est épris alors que 27 ans les séparaient. Ni même à l'insondable beauté de cet amour couleur sépia où se réfugièrent deux êtres épris de savoir et de volupté, comme un pied-de-nez clandestin à tous les bien-pensants.
La Captive de Mitterand, de David Le Bailly (Editions Stock). Coup de projecteur avec l'auteur, sur TSFJAZZ, ce jeudi 17 avril, à 12h30.