Kafka sur le rivage
Des méga-cubes en plexiglas manœuvrés par des hommes en noir glissent le long de la scène et font office de décor. À l'intérieur, un laboratoire, une discothèque, un autocar ou alors une forêt... Tout un monde, en somme, et en particulier celui d'Haruki Murakami dans ce qui reste son chef d'œuvre, Kafka sur le rivage (2003).
Deux errances en parallèle: Kafka Tamura, jeune fugueur hanté par le destin d'Œdipe (il sera un fils parricide et incestueux, lui a-t-on dit...) trouve refuge dans une mystérieuse bibliothèque où l'attend une amante endeuillée flanquée d'un assistant queer. En séquence alternée, se superposent les pérégrinations d'un autre personnage, un vieillard simplet du nom de Nakata agité lui aussi, semble-t-il, par des forces qui le dépassent.
"Parfois, écrit Murakami, le destin ressemble à une tempête de sable qui se déplace sans cesse. Tu modifies ton allure pour lui échapper. Mais la tempête modifie aussi la sienne"... À défaut d'en retrouver toute la puissance d'imagination entre réel et surnaturel, ce que propose la compagnie Ninagawa, qui a survécu au décès de son fondateur en 2016, fait office de très belle invitation au labyrinthe concocté par Murakami, surtout lorsqu'il est question de chats qui parlent et de poissons qui tombent du ciel.
Chacun sa lecture, certes, de Kafka sur le rivage. On peut nourrir à ce titre quelque frustrations à ne pas voir reprise dans la pièce toute l'importance que revêt pour le jeune héros le fameux My Favorite Things de John Coltrane. Dans le même ordre d'idées, la prose si suggestive de Murakami prête parfois au bavardage dans sa traduction scénique. Heureusement, l'assomption scénographique de l'ensemble, rehaussée par un jeu de lumière tout aussi sidérant, compense avec brio l'évidente difficulté à faire aussi bien que le livre.
Kafka sur le rivage, d'Haruki Murakami, mise en scène de Yukio Ninagawa, au Théâtre de la Colline, à Paris, jusqu'au 23 février.