Mardi 2 avril 2019 par Ralph Gambihler

J'veux du soleil

Cachez ces gilets jaunes que je ne saurais voir. Ceux qui incendient des kiosques à journaux, tabassent des journalistes, exhortent Finkielkraut à "retourner dans son pays", ou alors relaient des rumeurs d'enlèvements d'enfants se soldant par des expéditions punitives chez les Roms... Ceux-là, vous ne les verrez pas dans J'veux du soleil, côté pile d'un mouvement résolument aveugle à sa face la moins reluisante.

Le "J'veux du soleil" qui donne son titre au documentaire ne répond pas seulement, du même coup, aux rêves d'espoir des sans-le-sou qui s'expriment devant la caméra. Il résume aussi l'injonction que François Ruffin et Gilles Perret se sont auto-administrée en égrenant les ronds-points de la Somme jusqu'au sud de la France, avec un final balnéaire, façon 400 Coups, de François Truffaut. Tout est affaire de lumière, de rendu solaire, jusqu'à transcender une géographie urbaine parfois peu ragoûtante.

Ce parti-pris donne matière à des séquences gorgées de générosité et d'authenticité. Comment oublier Carine, qui survit avec des cartes Auchan gagnées en faisant des bingos dans des salles municipales, ou encore Cindy, dont le compagnon, en guise d'amorce de conscience politique, commence à étudier la Constitution ? Dans J'veux du soleil, les femmes crèvent l'écran. On n'en dira pas autant d'une autre France, celle de la "diversité" comme on l'appelle communément. À peine voit-on passer un Khaled qu'il disparaît au bout de deux minutes...

Bien plus marquant et pourtant tout aussi absent, Marcel, le vieux maçon espagnol dont un artiste a peint la figure à la Obélix sur un immense panneau, comme une sorte de totem. "Il a regardé son visage, il a vu qu’il contenait les douleurs, les fatigues de la vie"... Impossible de le retrouver de visu, le vieil Espagnol. Il reste une œuvre éphémère, comme dans les films d'Agnès Varda, d'autant que les "toutous de Macron", comme il est dit dans le film, n'ont pas hésité, vu leur degré de sensibilité au geste artistique, à démolir le panneau.

Une poésie du regard se fraye ainsi son chemin. Dommage qu'elle soit parfois plombée par des choix de musique (Douce France, de Trénet) qui la transforment en cliché. Le côté agit-prop de l'opération paraît tout aussi surfait. Ces extraits d'émissions où des figures politiques et médiatiques conspuent les gilets jaunes, puisqu'on ne peut pas filmer, paraît-il, des "gentils" sans voir les "méchants", c'est autant de paroles en moins pour ces invisibles.

Surtout qu'il faut donner aussi de l'espace au "camarade" Ruffin ! Considérations sur sa vie personnelle, jeux de rôle (le député-cinéaste interprètant Macron sur le mode punching ball), vannes à deux centimes... On touche-là à l'aspect le plus irritant de J'veux du soleil. De fait, cette façon de se mettre en scène représente tout le contraire de ce que le si humble et regretté Hervé Le Roux nous avait offert en termes de délicatesse, d'écoute et d'humilité lorsqu'il donnait la parole aux ouvriers de Saint-Ouen. Le film s'appelait Reprise. Le réalisateur de Merci Patron ! aurait pu s'en inspirer d'avantage.

J'veux du soleil, François Ruffin et Gilles Perret (Sortie en salles ce mercredi)