Mardi 14 septembre 2010 par Ralph Gambihler

José James & Jef Neve au Duc des Lombards

On est là pour se vider la tête, après un long week-end de pompe à bière et de nuits à même le sol dans un Algeco prolétarien. On se dit au départ qu'on va rester seulement un petit moment, tellement qu'on est lessivé... et puis voilà qu'une voix, un piano et une panoplie de standards suffisent à nous capturer jusque tard dans la soirée. C'était ce lundi, au Duc des Lombards : José James et Jef Neve conversaient ensemble, à coup de "Tenderly", "Embraceable You" et autres "Body & Soul"... Ces deux là se sont rencontrés par accident, comme l'a écrit il y a quelques mois sur son blog le toujours très futé et affûté David Koperhant.

A la première écoute, pourtant, leur album paru au printemps m'avait paru légèrement glacé, comme si José James mettait un soin trop ostensible à se détacher de son image de chanteur un peu smooth mariant habilement soul, hip hop et musique d'ascenseur... Issu du répertoire classique avant un transvasement funk, le pianiste belge Jef Neve me paraissait lui aussi en faire des tonnes au clavier sans que l'émotion soit forcément au rendez-vous... La magie d'un club aura donc eu raison de ces fugaces irritations.  Avec son timbre de baryton qu'il module à la perfection, allant même jusqu'à scatter sans complexes, José James donne aux rengaines les plus antédiluviennes une pâte de modernité qui subjugue littéralement.

La voix évidemment s'emballe, et nous avec, sur un "Gee Baby, Ain't I Good To You" génialement "hot" ou encore sur une version de "Moanin'" d'autant plus originale qu'elle ne figure pas dans l'album... Mais le tempo peut aussi virer au murmure chez le crooner d'origine panaméenne, sauf que l'essence même du swing est toujours là, vibrante, enveloppant d'une magie douce le décor calfeutré du Duc des Lombards... Jef Neve y ajoute ses nappes de piano oniriques et ses solos perlés, à l'image de sa belle impro sur "Georgia on my mind"...

Et lorsque l'ami José le rattrape au vol dans le genre  "Non Jef t'es pas tout seul", le claviériste excelle tout aussi miraculeusement, suspendu à chaque syllabe et à la moindre respiration de son partenaire, lui donnant aussitôt cette fameuse correspondance pianistique qui confirme à quel point il n'y a que dans le jazz que les instruments (et la voix en est un, bien sûr) savent réellement se "parler" et s'écouter les uns les autres... Et puis il y a "Lush Life"... "Lush Life" qui fait qu'on ne pense pas véritablement, malgré la similarité instrumentale, à Tony Bennett et à Bill Evans lorsqu'on entend José James et Jef Neve. On pense plutôt à un autre baryton, Johnny Hartman, lequel avait lui aussi signé au début des années 60, au côté d'un certain John Coltrane, une version d'anthologie de la célèbre chanson de Billy Strayhorn...

Les invités du Duc des Lombards, ce lundi soir, ont eux aussi signé chez Impulse, le label de Coltrane... Ils lui ont par ailleurs rendu un hommage remarqué l'année dernière lors d'un projet musical qui a donné naissance, paraît-il, à un disque collector où l'on entend notamment "Equinox" et "Central Park West"... Autant de raisons pour prolonger, sur scène comme en studio, ce beau et jeune duo qui conjugue à merveille sa soif de racines et son ancrage dans un jazz du 21ème siècle.

"For All We Know", José James & Jef Neve (Impulse/Universal)