Dimanche 29 octobre 2023 par Ralph Gambihler

John Zorn au long cours grâce au regard pétillant et passionné de Mathieu Amalric

Formée de plusieurs planètes plus ou moins reliées entre elles et parfois aussi en rotation sur elles-mêmes, la galaxie John Zorn demeure à ce jour l'un des plus grands miracles de la musique contemporaine: jazz, klezmer, hardcore, easy listening ou encore musique de chambre et oratorios mystiques... Le frénétique compositeur et saxophoniste new-yorkais ne cesse de courir d'une constellation à l'autre, jouant des genres et des durées (on se souvient encore de certains marathons, de Montréal à La Villette) et créant au final, autour de son cerveau musical toujours en ébullition, une atmosphère intimidante. Peut-on encore s'approcher sans danger d'un pareil gourou ?

Sans doute intimidé lui aussi, mais avec cette passion, cette humilité et cette malice immédiatement perceptibles dans son regard, Mathieu Amalric a su forcer les barrières. De 2010 jusqu'à nos jours, le comédien-réalisateur a filmé seul, et avec un arsenal changeant de caméras et de micros, John Zorn à l'œuvre. Choisi au départ par le compositeur comme récitant sur l'une de ses créations, l'acteur a pu ensuite renouer le contact assez rapidement avec le musicien lors d'un passage à New York. La suite, c'est dans le dossier de presse:  "John m'avait dit 'Call me !'. J'ose et coup de bol phénoménal, c'était Yom Kippour, le seul jour peut-être dans l'année où il ne travaille pas "...

Résultat: une plongée en trois parties aussi tourbillonnante que le matériau "zornien", et avec déjà la démonstration que le supposé gourou est avant tout une perle d'humanité. Accroupi en tailleur, son art de l'écoute crève l'écran, tout comme son sens de la communion et du soin de l'autre. Même attention chez son ami français lorsqu'il filme les complices musicaux de John Zorn, et il y a du beau monde, à commencer par les guitaristes Julian Lage, Marc Ribot et Bill Frisell. La structure des trois films est également bien pensée: Zorn I, qui va de 2010 à 2016, crapahute dans plein de lieux et de configurations différentes. Une sorte d'introduction par fragments, en quelque sorte, mais dans une ambiance extrêmement joyeuse.

Plus resserré dans le temps (2016-2018), Zorn II associe une caméra moins survoltée que dans la première partie et des maximes de Zorn lui-même qui s'inscrivent sur l'écran à intervalles réguliers. Ce n'est plus tant le rythme propre au musicien qui est traqué que le sens propre qu'il donne à ses différentes activités. Zorn III  (2018-2022), enfin, est à la fois la partie la plus déroutante et la plus passionnante. Déroutante sur le plan musical tant la seule œuvre ici abordée - une fresque inspirée d'une légende finlandaise et faisant intervenir la soprano Barbara Hannigan -est éloignée d'un album comme The Dreamers. Passionnante parce qu'on y voit Zorn confronté à une artiste femme avec en bonus les affres d'une répétition et tous les doutes qui affleurent dans un processus de création, à l'image de cet échange de mails entre le musicien et la chanteuse. Précieux outil lorsqu'on cherche comment on peut "story-iser" un matériau documentaire...

Du panoramique au zoom, c'est bien John Zorn dans tous ses états qui est scruté ici avec tact et sensibilité, et dans une démarche "work in progress" qui appelle inévitablement un nouveau chapitre. Le "to be continued..." qui ponctue les trois films devrait ainsi se prolonger avec un rendez-vous très attendu à la Philharmonie de Paris, les 1er et 2 novembre, où le musicien est attendu à l'occasion de ses 70 ans.

Zorn I, Zorn II, Zorn III, Mathieu Amalric (Sortie en salles le 1er novembre)