Lundi 25 mai 2020 par Ralph Gambihler

Jimmy Cobb, discret et essentiel...

Allait-on lui voler sa mort comme on lui a gâché sa fin de vie ? De sourds échos de cymbale ont ennuagé une partie de la journée. La rumeur pleurait Jimmy Cobb, mais rien ne venait l'officialiser. Sinistre conditionnel pour un "Rest In Peace" sans sources, sans dépêches d'agence et avec ce sanaté décalage horaire comme circonstance aggravante . Est-ce ainsi que les légendes meurent en Amérique ? Début février, déjà, on en avait mal au cœur: Jimmy Cobb était dans le besoin, malade, miséreux, incapable de subvenir à ses dépenses de santé. Philly Joe Jones, son prédécesseur auprès de Miles Davis, avait connu paraît-il la même triste fin.

C'est le toujours indispensable Ashley Kahn , auteur d'un ouvrage de référence sur Kind of Blue, qui a finalement remis les pendules à l'heure dans JazzTimes, s'efforçant de cerner les secrets d'un batteur trop discret. Eux devant, lui derrière. Dans diverses formations auxquelles il participe, Jimmy Cobb a beau faire tourner la machine dans tous les sens du terme (artistiquement, mais aussi, parfois, logistiquement parlant...), il rechigne au statut de leader. Timide à satiété, c'est l'anti-Buddy Rich par excellence. Il préfère lever les yeux. Il aime bien les tempéraments volcaniques, genre Dinah Washington dont il a été le compagnon. Miles Davis, c'est encore autre chose.

Comme il faut installer la batterie, il arrive en premier au studio lors de la séance historique de Kind of Blue en mars 1959. C'est le drummer dont Miles rêvait: pas destroy pour un sou, à la fois humble et classos avec sa fine barbichette, et toujours à l'écoute. Le tempo, la tenue, les balais en suspension, le coup de cymbale magique sur So What, les baguettes-escales vers le nirvana lorsqu'il s'agit d'escorter le solo lumineux du leader sur All Blues... Jimmy Cobb ne provoque pas, il s'insinue. Il ne cogne pas, il effleure. Il ne domine pas, il s'impose. Même à contrecœur.

La notoriété, du coup, lui a témoigné une certaine ingratitude. De Kind of Blue elle fit une prison dorée quand son ultime témoin savait pourtant varier les plaisirs avec Wes Montgomery (délicatesse imparable dans la reprise de For Heaven's Sake), Bobby Timmons ou Sarah Vaughan. Toujours cette manière de ne pas se mettre en avant, ce qui n'empêchera pas les talents d'une autre génération, de Brad Mehldau à Roy Hargrove, en passant par Branford Marsalis, de tenter l'adoubement auprès du batteur le plus mythique de l'an 59.

Et lui qui évitait toujours d'en faire des tonnes, barbichette désormais bonhomme et grisonnante, casquette sur la tête... Dans Miles Davis: Birth of the Cool, le docu passé récemment sur Netflix, il laisse Herbie Hancock et Wayne Shorter faire des étincelles. On ne le voit que par intermittence,  genre plan de coupe, avec ce petit rire étouffé qui ponctue chacune de ses anecdotes-express. Il est d'abord là pour raconter Miles en tant qu'ami, en tant qu'être humain. Le seul moment où il a l'air de sortir de ses gonds, c'est au sujet de la rencontre musclée entre le trompettiste et un flic raciste à New-York, juste après le triomphe de Kind of Blue... Soudain, il pulse autrement.

Jimmy Cobb (20 janvier 1929-24 mai 2020)