Je m'appelle Hmmm...
Un paumé et une gamine se font photographier dans un photomaton, comme dans Alice dans les villes, sauf que chez Wim Wenders, les polaroïds immortalisent une amitié naissante. Dans le premier film d'Agnès b., ils vont désigner un faux coupable. Alice dans les Landes, donc... Ou plutôt Céline (Lou-Lélia Démerliac) qui, au détour d'une fugue dans le Sud-Ouest, refuse de donner son prénom au routier écossais qui la surprend dans son bahut: "-My Name is Peter. And You ? -Je m'appelle Hmmm... My name is Hmmm".
Le camionneur est un solitaire, un sans-famille, un tatoué de partout... Aussi décalé, au sens émotif du terme, que l'artiste vidéo Douglas Gordon qui l'incarne. C'est sûr qu'il n'a pas le profil idéal pour convaincre de la pureté de ses intentions alors que dans "Alice...", Rüdiger Vogler affichait un look beaucoup plus romanesque. Seulement voilà... Aussi créatrice de mode soit-elle, Agnès b. ne s'est pas emparée d'une caméra pour juger les gens sur leur look. Ni même pour donner on ne sait quelles clés biographiques à travers l'odyssée de cette gamine fuyant une famille dans laquelle un père fait avec sa fille des "choses" qu'un papa n'est pas censé faire.
"Ce n'est pas du tout mon histoire, mais je sais de quoi je parle", nous dit, dans le dossier de presse, celle dont on découvre que, dans la vraie vie, elle s'appelle Agnès Troublé. Miss Trouble, comme la surnomment les douaniers américains lorsqu'elle atterrit aux States, zigzague en conséquence entre douceur, tendresse et poésie. Stylée- et stylisée- (et là, on reconnait bien la styliste...), son road-movie jongle avec les cadres et les textures d'images, se love dans un imaginaire en roue libre et oscille entre naturalisme, fantaisie et instants de pur abandon, à l'instar d'un patron de bar aux airs de loup-garou ou alors d'une danse japonaise en pleine forêt.
La recette fonctionne, ne serait-ce qu'en réunissant les ingrédients d'un film de bande : Jacques Bonnaffé, Sylvie Testud, Marie-Christine Barrault, Jean-Pierre Kalfon et, last but not least, le philosophe Toni Négri ! Mais c'est surtout quand elle lâche la bride d'une émotion brut de décoffrage qu'Agnès b. emporte l'adhésion. Ce laisser-aller dans le poignant est plus naturel, chez elle, que les quelques tics auteuristes qui marquent forcément un premier opus. Pour le reste, ce coup d'essai affiche franchement de belles couleurs. Pas seulement à cause d'un camion rouge.
Je m'appelle Hmmm, d'Agnès Troublé, dite Agnès b. (Sortie en salles le 23 avril). Coup de projecteur avec la réalisatrice ce mercredi 23 avril, sur TSFJAZZ, à 12h30.