Jane Birkin, l'interview sur la moquette...
Il y eut Melody Nelson, bien sûr, mais aussi tant de fêlures, de mélancolie et de pudeur d'âme dont le si beau documentaire de Charlotte Gainsbourg, Jane par Charlotte, se faisait encore l'écho il y a un peu plus d'un an. Lumineuse de proximité, de conscience de soi et du monde, Jane Birkin était d'abord l'icône de toutes les émancipations. Avec elle, rien ne se faisait de manière normale. Pour preuve, cette interview façon pique-nique pour TSFJAZZ en mars 2006 alors que le festival de films de femmes de Créteil lui consacrait un autoportrait et une carte blanche, 18 ans après la présentation dans ce même festival -on y était- du si ludique Jane B par Agnès V. d'Agnès Varda.
Si loin déjà de ce statut d'objet fantasque du désir que Gainsbourg, à rebours de tous les clichés "femme fatale", avait façonné pour elle avant qu'il ne devienne Gainsbarre et avant qu'elle ne devienne La Pirate sous la direction de Jacques Doillon, la chanteuse et comédienne restait une personne irrésistible, jusqu'à inventer cet exercice inédit pour moi de l'interview sur la moquette dans une grande chambre d'hôtel. C'était sa manière d'être, exquise et spontanée, avec cet accent anglais qui n'appartenait qu'à elle. Depuis, on a inventé le mot "junket"...
"-Quel regard portez-vous sur votre parcours d'actrice ?
-J'ai eu une carrière très atypique. J'étais une petite "agréable petite conne ", comme disait Serge dans Melody Nelson, qui faisait des bêtises, des comédies et des choses aimables. Ensuite, j'ai fait avec Serge Je t'aime moins non plus qui était son film génial avec Joe d'Alessandro, mais c'était tellement atypique que ça ne m'a pas vraiment donné une autre carrière d'actrice, même si c'est l'un de mes films pour lesquels j'ai le plus de fierté. C'est ensuite que Jacques Doillon m'a découverte après Sept morts sur ordonnance. Je tire d'ailleurs mon chapeau à ce film et à son metteur en scène, Jacques Rouffio, parce que personne alors me demandait de faire des drames. On pensait jusque que j'étais légère, et Rouffio m'a fait confiance bien avant que d'autres aient confiance en moi. D'où cet étrange "virement" d'une étrange carrière avec les films avant-gardistes de Doillon comme La Fille prodigue et La Pirate.
-Pourquoi parlez-vous d'étrange carrière ?
-Parce que ça ne correspond à aucun autre profil d'actrice que j'admire. Quand par exemple je regardais Nathalie Baye, j'étais vraiment navrée à l'époque de ne pas avoir de carrière comme la sienne. Je me disais "mais réveille-toi, c'est très peu crédible que tu sois dans une hutte de moyen-âge en attendant Depardieu pour Le Retour de Martin Guerre, faut pas charrier "... Je connais mes limites comme actrice, donc je ne peux pas jouer n'importe quoi.
-Vous avez en même temps trouvé de grands réalisateurs...
Grâce à Jacques Doillon, j'ai pu rencontrer, c'est vrai, des gens comme Jacques Rivette, Agnès Varda, et tous les "originaux" si on peut dire, j'étais dans les festivals tout à coup ! Cannes, Venise, je n'y avais jamais été, et cette carrière atypique continue parce que sinon, j'aurais pu juste être une James Bond Girl. J'ai commencé dans le même genre, ce n'était pas plus original que ça...
-Est-ce que du coup la tentation de la mise en scène ou de l'écriture vous a titillé ?
-C'est sûr que si j'avais pu trouver au départ une anglaise comme moi, j'aurais bien aimé la diriger, mais je ne l'ai pas trouvée, je me suis moi-même résolue à jouer cette Anglaise en espérant que la ruse passerait, mais l'écriture, j'adore et j'ai toujours beaucoup envié les écrivains en pensant que c'était le pied de rester chez soi, d'écrire et de n'avoir pas à montrer sa face "
Jane Birkin (14 décembre 1946-16 juillet 2023)