In Another Country
C'est bien là toute la supériorité du cinéma par rapport à la peinture. On peut être touché par les motifs d'un tableau, mais seul le septième art possède la potion magique qui permet de répéter ces motifs, de les décalquer en surimpression et de les entrecroiser dans une trame-mosaïque. Ainsi fonctionne "In Another Country", du Coréen Hong Sang-Soo, avec à l'arrivée un miracle de fantaisie, de sensualité et de légèreté jamais anodine. Il faut dés lors les citer, ces motifs, comme on le fait avec les comédiens et les techniciens au générique de fin: un phare, une tente, un parapluie et aussi quelques bouteilles de soju, l'alcool national en Corée du Sud.
C'est Isabelle Huppert qui se balade dans cet inventaire à la Prévert à travers trois séquences qui sont comme autant de variations sur un même thème, celui de l'étrangère, et plus précisément de la Française telle qu'elle est fantasmée au-delà des frontière. Ainsi retrouve-t-on, tour à tour, la comédienne dans le rôle d'une réalisatrice courtisée par un jeune collègue, d'une maîtresse qui part rejoindre son amant et d'une femme abandonnée par son mari. Les trois "Anne", puisque chacune d'elle porte le même prénom, exposent leur vague-à-l'âme dans une station balnéaire quelque peu livide en basse-saison et où la seule irruption vivifiante s'incarne dans un jeune et sympathique maître-nageur plus ou moins pourvoyeur de songes pour cougars averties.
Ciselés d'humour et d'une délicatesse distanciée que n'aurait pas reniés Eric Rohmer, ces trois mini-contes moraux se déplient comme les pièces d'un puzzle de l'âme enrichi de dialogues souvent savoureux entre personnages qui ne parlent pas la même langue. Comment traduire un sentiment, un désir ou alors un chagrin?
Hong Sang-Soo offre à ses questionnements une forme mélancoliquement ludique et gorgée de poésie avec, au final, un magnifique face-à-face entre notre Huppert nationale, que l'on n'a peut-être jamais connue aussi libérée dans son jeu, et un moine bouddhiste à qui elle demande ce qu'est l'amour: "Quelque chose qui sera toujours à faire". Et le sexe: "Quelque chose qui jusqu’à ma mort me posera problème"... Il n'y a plus, ensuite, qu'à ranger la tente, le parapluie, à rêver de ce phare qu'on ne verra jamais et à s'offrir une dernière gorgée de soju.
"In Another Country", de Hong Sang-Soo, sélection officielle au Festival de Cannes (Sortie en salles le 17 octobre)