Dimanche 17 octobre 2021 par Ralph Gambihler

Illusions perdues (version Xavier Giannoli)

On voit l'encre physiquement parlant... De l'encre, et surtout une indéniable maestria dans cette adaptation par Xavier Giannoli des Illusions perdues. Le souffle, le rythme, la façon dont tout cela résonne avec notre 21e siècle... Rien ne manque à l'appel, y compris l'esprit d'un Balzac qui scrute au scalpel la naïveté, les compromissions et le désenchantement d'un jeune parvenu dans cette France des années 1800 fracturée entre royalistes et libéraux, chacun des deux camps émargeant comme il se doit dans la duplicité et les trahisons dûment monnayées.

A l'instar d'une récente (et frustrante) adaptation théâtrale qui résumait le grand écrivain à ses punchlines, Giannoli a lui aussi taillé dans le vif de l'œuvre originale en focalisant sur la vie parisienne de son poète contrarié et apprenti-journaliste, Lucien de Rubempré. Sauf que cette fois, le texte balzacien est bien plus prégnant à travers une voix off qui en restitue aussi l'esprit et qui amplifie la virtuosité de la mise en scène sans jamais en ralentir le flux. Même constat au niveau de la reconstitution et des costumes qui ne pèsent jamais des tonnes.

Le tout au diapason d'un propos qui fait en nous constamment écho: "Un jour peut-être, allez savoir, un banquier va arriver au gouvernement ", a donc pu écrire ce visionnaire de Balzac.. Sa lucidité n'était pas moins édifiante à l'égard d'une presse libre aussitôt cajolée par les financiers, ou encore au sujet de ces critiques plus avides d'un bon mot qu'autre chose parmi lesquels Lucien se retrouve comme un poisson dans l'eau.

Giannoli filme cette atmosphère avec ardeur et minutie. L'ardeur propice à de magnifiques trouvailles (comment Lucien, tel un peintre devant son modèle, trouve aussitôt les mots pour traduire la performance scénique de l'actrice dont il tombe amoureux...), la minutie avec laquelle le cinéaste zoome sur des plumes, des encriers, des pages de journaux et autres matériaux d'un temps désormais révolu à l'ère de la crise de la presse-papier.

Interprétation quatre étoiles. Tout en candeur faustienne, Benjamin Voisin crève autant l'écran que dans Eté 85, le film d'Ozon qui l'a révélé. Autour de lui, Cécile de France campe une Louise de Bargeton livide de lâcheté au nom des usages de sa classe sans pour autant abdiquer dans son statut de femme amoureuse. Pour ce qui aura été son dernier rôle, Jean-François Stévenin campe un étonnant personnage faisant la pluie et le beau temps dans les théâtres parisiens en fonction de la somme qu'il reçoit de telle ou telle coterie... Même Depardieu est supportable, pour une fois, en éditeur cynique sachant bien moins lire que compter.

Composition pleine de fraîcheur également de Salomé Dewaels dans la peau de Coralie, la fiancée de Lucien. On a gardé les trois meilleurs -outre le rôle principal- pour la fin: Xavier Dolan tout en ambiguïté dans le rôle d'un auteur à succès (et par ailleurs formidable narrateur), Jeanne Balibar génialement machiavélique en marquise d'Espard, et surtout Vincent Lacoste qui donne tout son bagout et son mordant à Etienne Lousteau, le mentor du héros dans le journalisme. Bref, les Césars l'an prochain, ça va vraiment être mission impossible...

Illusions perdues, Xavier Giannoli, sortie en salles ce 20 octobre (coup de projecteur la veille, sur TSFJAZZ, à 13h30 avec Cécile de France au micro de Thierry Lebon.