Mardi 3 février 2009 par Ralph Gambihler

Gerboise bleue

C'est mon pays, la France, qui a fait ça... Le 13 février 1960, un champignon atomique s'élève au-dessus des palmeraies de Reggane, dans le Sahara algérien... Hourra ! crie le général De Gaulle, tellement fier du 1er essai nucléaire français... Mais pour le peuple des Oasis, pour ces 2000 touaregs disséminés dans les environs et qui vivaient de dattes et de lait, c'est le début de l'enfer, des malformations, des fausses couches, des leucémies, et ça continue encore aujourd'hui..

Djamel Ouahab les a rencontrés, ces irradiés des oasis, pour "Gerboise Bleue", le premier film documentaire sur l'histoire secrète des essais atomiques français en Algérie. Le réalisateur est aussi revenu sur les lieux de l'infamie, ce fameux "point zéro" qu'il a du mal, au départ, à localiser... C'est presque du Antonioni, cette quête du   "point zéro", au milieu des quelques blokhaus, trappes et autres boules de béton qui tiennent lieu de "présence française"... Non loin de là, une stèle a été érigée par le gouvernement algérien, mais côté français,  rien n'a été fait en termes de suivi et de contrôle de la radioactivité... Quant aux plaintes des vétérans tombés malade à leur retour, elles sont restées lettre morte....

Devant la caméra de Djamel Ouahab, deux de ces vétérans parlent: il y a celui qui est calciné de l'extérieur, Lucien Parfait... Des mélanomes plein le visage, une arête en guise de nez, et un gros pansement sur l'oeil gauche, parce qu'à l'intérieur on peut voir sa gorge... Il lui reste l'oeil droit pour essuyer ses larmes, tellement qu'il est épuisé par toutes les opérations qu'il a subies et qu'il doit encore subir... Et puis il y a le calciné de l'intérieur, Gaston Morizet... Sourire avenant, celui d'un bon gars du sud, croit-on au départ... Jusqu'au moment où il raconte tous les médicaments qu'il ingurgite chaque jour, pour aller à la selle, pour dormir, pour ne pas se flinguer, sans parler de toutes les doses de morphine qui lui permettent de grappiller un jour de plus, toutes les 24 heures, dans cette vie de chien qu'il mène évidemment en solitaire...

Lui au moins, contrairement à Lucien Parfait, il  aura la force de retourner à Reggane... A son retour, il raconte à son pote comment il a été bien reçu par les Algériens, alors qu'il s'attendait "à un coup de fusil"...  Il y a donc des douleurs communes, entre les deux rives de la Méditerranée... Les mots, à un moment du film, s'envolent, submergés par la musique. Ils s'inscrivent alors en sous-titres, comme un cri muet, en bas de l'écran... "Gerboise bleue" parle aussi de pardon, de réconciliation, mais ce documentaire nous renvoie surtout à la honte, à notre honte, à nous, citoyens de ce "beau" pays, la France qui, un jour de l'an 60, sous les Hourra du Général, se hissait à des hauteurs insoupçonnées d'indignité nationale.

Gerboise Bleue, de Djamel Ouahab (Sortie en salles le 11 février) Coup de projecteur avec Djamel Ouahab le jour de la sortie en salles à 8h30, 11h30, 16h30