Mardi 22 février 2011 par Ralph Gambihler

Françoise

"Ainsi peut-on être Marilyn Monroe et mourir seule, comme un chien, un dimanche, pour rien ". Rien que pour cette phrase écrite dans les colonnes de  "L'Express" un jour d'août 1962, rien que pour la brûlure des mots et de la ponctuation, rien que pour cette confession indirecte d'une femme blessée écrivant sur une femme morte, Françoise Giroud, telle que nous l'éclaire Laure Adler dans une biographie au plus près des ombres et de l'éclat de son sujet, mérite une considération éternelle.

Nous étions, avouons-le, sur une autre longueur d'onde concernant l'ancienne secrétaire d'Etat de Valéry Giscard d'Estaing. On connaissait, bien sûr, le combat de Françoise Giroud contre la guerre d'Algérie. On savait que le journalisme moderne, c'était elle et son inséparable JJSS, alias Jean-Jacques Servan-Schreiber, dans ce qui fut la grande aventure de "L'Express"...

Une aventure dont avait fait partie d'ailleurs un certain Jean-François Bizot, recruté dans le journal pour couvrir Mai 68. Il nous en parlait beaucoup, Bizot, de cette époque... Il admirait Françoise Giroud, sa rigueur, son esprit et sa formidable intuition face à tous les mouvements renouvelant la société française, à commencer par le féminisme. On était en même temps resté sur un souvenir plus irritant: dans les dernières années de sa vie, Françoise Giroud incarne une certaine gauche caviar, à la fois glaçante et jamais dérangeante, toujours dans l'air du temps, bien sous tous rapports, de préférence avec les vedettes politiques et littéraires les plus surexposées médiatiquement.

Mais bon... Peut-être que cela, ce n'était que Giroud. Françoise, elle, est beaucoup plus attachante, et ce n'est sans doute pas un hasard si Laure Adler a opté, dans le titre de sa biographie, pour cet unique prénom. Origines juives reniées, violente rupture amoureuse avec JJSS suivie d'un paquet de lettres anonymes antisémites envoyées à sa future femme, dépression carabinée... Giroud est cassante, Françoise est cassée. Giroud brille de tous ses feux, Françoise se consume de l'intérieur.

Giroud brode sur Pierre Mendès-France, rêvant à travers lui d'une gauche débarrassée d'un Parti communiste qui recueille à l'époque un peu plus de 20% des voix (c'est un peu le chaînon manquant, dans le livre, ce grand flou sur l'état de la gauche en France au moment où "L'Express" entre en scène), Françoise écrit sur Marilyn... Les fêlures, les zigzags, la lancinante tentation du "border line", le coeur à coeur avec sa propre complexité, la hantise de l'abandon et du déclassement qui pousse encore plus au dépassement de soi dans la sphère publique, tout cela dessine une trajectoire bien plus valorisante en vérité que l'image un peu convenue d'une reine du Tout-Paris.

"Françoise", Laure Adler (Grasset) Coup de projecteur avec l'auteur ce vendredi 25 février à 8h30, 11h30 et 16h30