Four Directions
Le piano fertilisé de Marc Cary embrase l'automne. De quels étiquetages monocolores la note bleue pourrait-elle être entravée, ici, quand elle est à la fois acoustique et électrique, black et amérindienne, psyché ou alors transcendée par le swing le plus cristallin? Né en 1967 d'un père trompettiste et d'une mère artiste-peintre, Marc Cary sait où il va et d'où il vient. Dans la généalogie familiale, on retrouve aussi une arrière-grand mère qui pianotait avec Eubie Blake, pionnier du ragtime.
Formé à la washingtonienne Duke Ellington School of The Arts, le pianiste côtoie ensuite quelques dieux -Dizzy Gillespie, Jackie McLean- mais aussi des reines de coeur comme Betty Carter, Shirley Horn et surtout la grande Abbey Lincoln. Avec l'ancienne égérie de Max Roach, le lien sera d'une intensité comparable à celle qui unissait Mal Waldron à Billie Holiday. Jusqu'à cette poignante gratitude en piano solo dans For the Love of Abbey, sorti au printemps.
Sauf que Marc Cary joue surtout collectif. D'abord au côté des "Jeunes Lions" façon Roy Hargrove dans les années 90, puis comme leader dans Indigenous People et le Focus Trio dont le très chaleureux label de Harlem, Motema, vient de publier le 2e enregistrement studio, Four Directions. Dans ce disque, Marc Cary jongle avec les genres, les couleurs, les métriques, les claviers. L'oreille aussi chercheuse qu'un Jason Moran, il alterne piano, fender, orgue et wurlitzer...
Secondé par une contrebasse ou une basse électrique (Burniss Travis et Rashaan Carter) se disputant parfois le même morceau, il s'adjoint un batteur/percussionniste pareillement malicieux dans le jeu de rôles, ne serait-ce que dans ce raga hypnotique (Tody Blues) où Sammer Gupta se métamorphose en joueur de tablas. Nulle incohérence au gré de ces montagnes russes harmoniques et de ces fulgurants changements de vitesse à l'intérieur d'une même plage, mais au contraire une créativité de chaque instant dans les contrastes et dans la volonté de Marc Cary d'inventer une "nouvelle palette de sons".
Le soft n'a jamais été autant hot que sur Waltz Betty Waltz, le flottant jamais aussi peu conciliable avec l'éthéré que dans les nappes de Open Baby... Deux notes insistantes donnent le là dans He Who Hops Around avant que ne les délivre une envolée de piano aussi mélodique que torrentielle. Quelle splendeur, également, ce Ready or Not ! Sur la scène du Duc des Lombards, l'autre soir, ce fut comme une décharge ininterrompue... Un musicos black de 46 balais étourdissant d'humilité et d'intégrité s'adonnait au diluvien. Il devait conclure sur un hommage à Erik Satie. Cela nous parut parfaitement dans l'ordre des choses.
Four Directions, Marc Cary Focus Trio (Motema)