Samedi 6 mars 2021 par Ralph Gambihler

Flor

Naissance et renaissance. Heureuse maman depuis six ans, Gretchen Parlato avait mis sa carrière entre parenthèses après avoir été adoubée par Herbie Hancock, Wayne Shorter et Robert Glasper. Nouvel équilibre aidant, la voici de retour avec un album à fleur de peau, le bien nommé Flor. Un bouquet de mélodies suaves aux pétales effilés, une roseraie d'arrangements mitonnés par le guitariste de São Paulo Marcel Camarguo, des "tributes" effeuillés avec grâce et délicatesse, une panoplie de jardins secrets -chant choral, comptine, musique brésilienne... Il n'en faut pas plus pour constater que rien n'est vraiment amené à se faner dans ce nouvel opus qui fleure tant le printemps.

Un timbre hypnotique imprègne d'emblée le premier titre, É Preciso Perdoar, popularisé en son temps par João Gilberto. L'anglais s'entrelace avec le portugais, la délicatesse avec un violoncelle (Artyom Manukyan, déjà repéré aux côtés de Melody Gardot...), le sentiment de perte avec le don de soi. Changement de tempo dès le 2e titre, Sweet Love, avec comme invité de marque Gerald Clayton dont le groove met en valeur les qualités d'improvisation de la chanteuse ainsi que son art du décalage.

Directement liés à l'enfance et à sa maternité exultante, des morceaux comme Magnus et, plus loin dans le disque, Wonderful, relèvent un peu de l'illustratif chez Gretchen Parlato, même si les talents de batteur et de percussionniste de Leo Costa, qui a notamment officié avec Sergio Mendes, relèvent de l'évidence. On est bien plus fasciné par sa virtuosité dans les vocalises sans paroles, d'abord sur une composition brésilienne, Rosa, où l'ex-lauréate du concours Thelonious Monk concilie pureté et technicité du chant choral, puis sur le "Menuett" de la Suite No 1 pour violoncelle de Bach où son entame a capella subjugue entre respiration retenue et souffle tout en douceur. Là encore, on imagine le nirvana d'un gamin auquel sa maman sussure une telle merveille.

Une sorte de valse latine en mode berceuse, What Does A Lion Say, constitue un autre sommet de l'album. Avec le renfort encore une fois décisif de Camarguo, la chanteuse, tour à tour espiègle et mélancolique, sublime cette composition signée Chris Morrissey, un bassiste de Brooklyn. Requiem pour Roy Hargrove ensuite, mais requiem sur un air de samba avec aux percussions le vétéran Ayrto Moreira. Le trompettiste trop tôt disparu aurait probablement craqué pour un hommage aussi enjoué avec en guise de fanfare funèbre sifflets, cloches et tambours.

Pas question, enfin, de regarder la mort en face comme Bowie dans No Plan, ce chant-testament où un certain Mark Guiliana était à la batterie. Le compagnon de Gretchen Parlato reconstruit ici ce morceau si poignant pour en faire, aux côtés de la maman de son fils, une ode à l'éphémère, à l'offrande, à la floraison malgré tout. Album à cueillir d'urgence, vraiment...

Flor, Gretchen Parlato (Edition Records). La chanteuse sera l'invitée de Deli Express sur TSFJAZZ, ce mardi 9 mars, entre 12h et 13h.