Faith Ringgold. Black is beautiful
Crédits photo: Jonathan Muzikar/Moma/Scala
Voilà un lieu parisien -mais aussi une artiste- qu'on ne saurait taxer d'autocentrisme. Alors qu'on pouvait l'imaginer obnibulé par le très proche 50e anniversaire de la mort du plus célèbre des Pablo, le musée Picasso ouvre ses portes à Faith Ringgold, figure tutélaire de l'art africain-américain (elle est âgée aujourd'hui de 92 ans) qui, tout en ne perdant jamais de vue les luttes états-uniennes qui ont nourri sa génération, a fait preuve elle aussi d'une capacité d'ouverture remarquable, notamment en direction de l'histoire culturelle européenne.
En témoigne son œuvre phare, Die (1967), directement inspirée dans son arrière-plan abstrait par le Guernica de Picasso, mais à l'aune des émeutes raciales américaines. La toile est éclaboussée de sang. Entre le gris et l'orangé, il fait tâche partout, notamment sur les vêtements de plusieurs protagonistes, qu'ils soient noirs ou blancs, pauvres ou riches. Les corps sont désarticulés, les visages, grimaçants. Seuls au milieu du tableau, dans sa partie inférieure, deux enfants enlacés, une fillette noire et un garçon blanc, semblent échapper à ce jeu de massacre.
Faith Ringgold ne s'est pas cantonnée à ce seul style. Jouant toujours avec les codes de l'abstraction et en digne héritière du mouvement Harlem Renaissance, elle célèbre la black beauty à travers des toiles monochromes jouant sur le gris, le bleu outremer et "des noirs si sombres que les visages sont presque invisibles, invisibilité dont le sens est flagrant ", comme le relève à juste titre Philippe Dagen dans Le Monde. L'art de l'affiche fait également ressortir son afro-féminisme. Militant pour la libération d'Angela Davis, elle s'inspire des motifs de la tribu Kuba d'Afrique centrale et du drapeau panafricain, mais ce sont surtout les tankas tibérains et népalais qui réorientent son art. Abandonnant la peinture à huile, elle privilégie dans les années 70 l'acrylique sur textile, renouant par la même occasion avec la tradition américaine du patchwork (quilt art en anglais).
Ce travail sur les étoffes imprimées et les bordures matelassées se déploie surtout au début des années 90 avec The French Collection, une fresque scripto-picturale qui met aussi ses reliefs ses talents de conteuse. Faith Ringgold s'y représente en jeune femme noire dans le Paris des années 20. Mélangeant les époques, elle installe dans un café des artistes imaginaire des personnalités africaines-américaines et des artistes européens comme Gauguin, Toulouse-Lautrec et Utrillo. Un détour à Arles lui permet aussi d'imaginer Harriet Tubman et Rosa Parks dans un champ de tournesols sous le regard intimidé de Van Gogh.
La boucle est bouclée quand l'héroïne se met à poser nue pour Pablo Picasso avec en arrière-plan Les Demoiselles d'Avignon. A la fois diverse et puissante, convoquant le souffle narratif de Jacob Lawrence mais aussi l'art mural de Diego Rivera, le parcours de Faith Ringgold fascine à juste titre. Le musée Picasso en célèbre toutes les dimensions jusqu'à faire résonner dans la dernière salle le Amazing Grace d'Aretha Franklin alors qu'un drapeau américain qui saigne s'offre au regard. Seul bémol, l'absence d'une œuvre de Faith Ringgold dédiée à Sonny Rollins qui fut son ami d'enfance. "Les motifs improvisés et les couleurs vives y font écho aux sons du jazz ", écrivait à l'époque le New York Times.
Faith Ringgold. Black is beautiful, au musée Picasso, à Paris, jusqu'au 2 juillet.