Eric Rohmer (La biographie)
Elles veulent jouer dans ses films, lui écrivent des lettres enflammées, se jettent parfois à son cou... Et ça se termine par une conversation autour d'un thé ! Imperturbable et pervers Eric Rohmer tel que le dévoile Antoine de Baecque (en collaboration avec Noël Herpe) dans une biographie sidérante à bien des égards.
"Mon secret, c'est la chasteté absolue", dira-t-il pour expliquer son aisance à papillonner ainsi, et avec succès, auprès de très jeunes filles, leur soutirant au passage des confidences aussi croustillantes, sinon plus, que celles faites sur l'oreiller. C'est quoi, ce masque? Un revival bucolique de la Comtesse de Ségur dont Rohmer était un lecteur passionné ? Une ode du 20e siècle à l'amour courtois façon "Perceval le Gallois", l'un de ses films les plus curieux? Ou alors une manière comme une autre d'assumer un côté "Dom Juan honteux", pour reprendre la formule de Françoise Fabian dans "Ma Nuit chez Maud" ?
D'autres, auxquels Antoine de Baecque a consacré des biographies tout aussi passionnantes, prennent moins de masques et s'en brûlent parfois les ailes... Jean-Luc Godard carbonise Anna Karina, François Truffaut se prend une dépression carabinée lorsque sa "Sirène du Mississippi" préférée lui file entre les doigts... Les rohmériennes, quant à elles, ne peuplent que les écrans et les fantasmes de leur mentor. En aucun cas le lit conjugal de Maurice Schérer, marié, bon père de famille, catho au-dessus de tout soupçon et dont la maman ne saura jamais, de son vivant, qu'il "se commet" dans le cinéma sous le nom d'Eric Rohmer. Le masque et la caméra, donc, pour cacher le fait qu'il n'y a rien à cacher.
Aucun secret d'alcôve. Juste un homme aux vies rangées et parallèles qui un soir, pourtant, se fait rattraper par une atroce irruption de ce qui n'était pour lui qu'un simple matériau cinématographique. Il vient alors de signer son film le plus pop et le plus branché, "Les Nuits de la Pleine Lune", avec l'astrale Pascale Ogier, peut-être sa préférée... Il a même été en boîte -ce lieu anti-rohmérien par excellence- pour saisir l'âme des eighties, et c'est au sortir du Palace que la jeune comédienne succombe à un malaise cardiaque après avoir consommé de la drogue. "Il conduit les obsèques, comme s'il était à la fois le veuf et le père", écrit Antoine de Baecque. Bas les masques, soudain, dans cette confusion des sentiments qui a si sublimement inspiré le plus intègre de nos cinéastes.
"Eric Rohmer-Biographie", Antoine de Baecque et Noël Herpe (Stock). Coup de projecteur avec Antoine de Baecque le jeudi 30 janvier, sur TSFJAZZ, à 12h30