Ennio Morricone, maître de l'hybride...
Faut-il d'abord passer par la case Sergio Leone pour rendre compte du génie d'Ennio Morricone alors qu'il s'irritait lui-même d'être systématiquement associé au réalisateur de Pour une poignée de dollars ? Maniant l'art du contrepoint auquel il était si attaché, on aimerait déjà citer trois films ayant peu de chose à voir avec le western-spaghetti mais qui ont tout autant contribué à faire du compositeur italien le maestro option B.O du 20e siècle.
Les Poings dans les poches en premier lieu. Cloches et carillons, déjà, dissonent au diapason d'une démence familiale, celle de Lou Castel dans le film-coup de poing inaugural de Marco Bellochio en 1965. Autre démence, cinq ans plus tard, avec cette fois-ci le visage de Gian Maria Volonté en policier assassin dans Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, d'Elio Petri. L'entêtante et grinçante partition à deux thèmes qui enrobe cette descente aux enfers restera à jamais le chef d'œuvre de Morricone, juste devant la musique si envoûtante du Clan des Siciliens, d'Henri Verneuil, avec la fameuse guitare électrique enveloppée de cordes.
Difficile de faire l'impasse sur de tels reliefs avant d'évoquer, à juste titre, cette planète nommée Sergio Leone. En cheville avec ce cinéaste cultissime, Ennio Morricone aura révolutionné la musique de film sur des versants à la fois symphoniques, romantiques et expressionnistes. Coyotes du désert dans Le Bon, la Brute et le Truand, harmonica caniculaire dans Il était une fois dans l'Ouest, émotion pure dans Il était une fois la Révolution avec le concours de la soprano Edda dell'Orso (Sean, Sean...), flûte de Pan crépusculaire dans les chromos opiacés de Il était une fois en Amérique... L'ancien trompettiste de jazz qu'un certain Chet Baker avait également enrôlé n'hésitait pas à se sublimer dans l'opératique, variant tous les genres et réussissant un alliage d'orfèvre entre musique savante et mélodies populaires.
Il est là, dans cette hybridité permanente, le secret d'Ennio Morricone. Mandoline, guimbarde, sifflements et coups de fouets... Tous ces ingrédients disparates, il les agence comme on monte un film. Comment s'étonner qu'un autre "agenceur" de première, Quentin Tarantino en personne, ait fait appel au maestro pour embellir l'ampleur de ses meilleurs films, de Kill Bill aux Huit Salopards ? Le feeling ne fut pas franchement au rendez-vous entre le réalisateur fantasque et l'austère empereur de la BO. Qu'importe ! Entre deux champions élevant le traficotage (d'images pour l'un, de sons pour l'autre...) au niveau du grand art, la rencontre devait forcément avoir lieu. Elle consolide les légendes pour l'éternité.
Ennio Morricone, 10 novembre 1928-6 juillet 2020.