Vendredi 5 février 2021 par Ralph Gambihler

En thérapie

Avec le confinement, la saison 2 relève déjà de l'évidence. En attendant, c'est la sidération post-Bataclan qui a inspiré les deux Intouchables du cinéma français, Éric Toledano et Olivier Nakache, dans l'adaptation pour Arte de la série israélienne à succès BiTipul. Un psy, des patients réguliers chaque jour de la semaine, puis le praticien qui se fait lui-même analyser le vendredi, le tout sur fond de trauma collectif (le conflit israélo-palestinien pour BiTipul, la guerre en Afghanistan pour son adaptation américaine)... Autant d'ingrédients qui ne peuvent que captiver lorsqu'un récit alterne avec autant de richesse visée intimiste et regard sur le monde.

Épaulé à la réalisation par Pierre Salvadori, Mathieu Vadepied et Nicolas Pariser, le tandem Toledano/Nakache s'est surtout appuyé sur un casting quatre étoiles pour réussir son pari. En véritable roi du lâcher-prise, Reda Kateb crève l'écran dans la peau mal cicatrisée d'un flic de la BRI rattrapé par ses origines algériennes. En jeune nageuse suicidaire, Céleste Brunnquell fait preuve d'un naturel poignant tandis que Clémence Poésy, toute en acier trempé, domine aisément son partenaire Pio Marmaï au regard du couple en crise qu'ils forment tous les deux. Mélanie Thierry a peut-être le rôle le plus facile -la chirurgienne faisant un transfert amoureux sur son psy- tout en réussissant un sans-faute.

Impériale Carole Bouquet, également, dans le rôle de la "contrôleuse" à laquelle on s'identifie d'autant plus qu'elle reste le seul personnage à contester la thèse de la série selon laquelle un événement extérieur, si traumatisant soit-il, suffirait à envelopper nos névroses individuelles. Autant la piste paraît fondée pour les deux personnages directement liés aux attentats (le flic de la BRI et la chirurgienne qui a opéré les rescapés...), autant le trait peut sembler forcé pour les autres protagonistes. Autre bémol, quelques artifices de scénario -le psy cocufié, la love story entre deux patients- qui laissent craindre à un moment que la série ne tourne en rond. Au terme du 35e et dernier épisode, pourtant, et au regard d'une mise en scène qui se résume d'abord à une mise à nu, on ressort conquis par tant de densité humaine et de virtuosité dans la façon dont chaque épisode, au-delà du changement de patient, fait écho au précédent.

Le jeu de Frédéric Pierrot, qui joue le psy en pleine crise de la cinquantaine et auquel plusieurs musiciens de jazz ont déjà fait appel dans leurs créations (de Henri Texier à Tony Hymas, en passant par Christophe Marguet), y contribue aisément. Tour à tour taiseux, ironique, apaisant ou déstabilisé, appuyant là où ça fait mal, opérant des croisements inattendus dans les confessions de ses clients et faisant même office de punching-ball dans ce qui relève d'une initiation décapante à la psycho-thérapie, l'acteur livre ici une performance dont on peut penser qu'elle engage autre chose que l'art d'Hamlet. Ou alors jouer, ce serait d'abord encaisser.

En Thérapie, Éric Toledano et Olivier Nakache, série en 35 épisodes à voir sur le site d'Arte.