Vendredi 28 septembre 2012 par Ralph Gambihler

Dom Juan ou le festin de pierre

Quelle dégaine, ce Dom Juan rajeuni par Jean-Pierre Vincent à la Comédie-Française ! Aux antipodes du libertin blasé auquel on a été si souvent habitué, c'est un voyou qui crève la scène, un effronté, un chenapan dont le cynisme goujat d'"épouseur du genre humain" s'oublie dans une rage bien sympathique, surtout en ce moment, contre les obscurantismes religieux et les ordres établis. C'est Loïc Corbery qui transcende avec un panache des plus toniques le célèbre séducteur de Molière. Avec ou sans perruque, le jeune sociétaire met le paquet. Son Dom Juan n'a pas de coeur mais il a du palpitant !

Il est vrai que son énergie rebelle nous le rend immédiatement fascinant. La manière avec laquelle, par exemple,  il baisse la tête en bel indifférent face aux sermons paternels sonne incroyablement juste, et sa brève inquiétude que dissipe l'humeur au défi au moment où la géante statue du Commandeur vient réclamer quelques comptes nous rend perméable sans mot dire à la pirouette finale et rieuse qui n'est pas exactement celle que Molière avait imaginée. Pas question, pour autant, d'enjoliver le personnage. Lorsque Dom Juan gifle à plusieurs reprises un paysan légitimement jaloux, c'est toute une violence de classe qui soudainement prend l'ascendant.

Sganarelle, quant à lui, apporte un contrepoint parfait dans la pleutrerie,  la rondeur, et la tentation souvent hilarante de prolonger les délires de son maître. Magnifique et burlesque Serge Bagdassarian, surtout dans la scène où il s'essaie lui aussi à la rhétorique dans une logorrhée version marabout de ficelle... On n'a pas encore évoqué l'impressionnante scénographie tout en velouté pictural, ainsi que le jeu de lumières diffuses qui, insidieusement, éloigne les personnages de leur fantaisie initiale pour les précipiter dans un dénuement d'eux-mêmes. Cette nouvelle version de "Dom Juan" a le diable au corps. Place Colette, au sortir de la pièce, on en éprouve encore de joyeux et maléfiques frissons.

Dom Juan ou le festin de pierre, mise en scène par Jean-Pierre Vincent (Salle Richelieu de la Comédie-Française/Théâtre éphémère, jusqu'au 11 novembre)